L'abstinence voulue
Il y a celles qui n'ont jamais essayé " ça ", qui n'en ressentent tout simplement pas le besoin : " imagos parentaux " défavorables à la sexualité (le " sexe sale ") ? Valeurs d'éducation véhiculant l'idée d'un " devoir conjugal ", de l'abnégation des désirs de la femme et l'aspect sacrificiel de la relation sexuelle ? Traumatisme sexuel (inceste " réel " ou " symbolique ", viol) ? Inhibition sexuelle pour raison physiologique (hormones, etc) ? Homosexualité refoulée ? Dégoût ou peur des hommes (père violent ou discours misandrique de la mère) ? Méconnaissance du corps et peur de la pénétration, mais aussi peur de la grossesse et de l'accouchement ? Etc. Il y a aussi celles qui ont essayé mais qui n'en veulent plus : déception et agacement face à certaines attitudes masculines (égoïsme, irrespect, brutalité, empressement, objectivation de la femme, etc.) ? Répugnance face à certaines pratiques sexuelles qu'elles ont " acceptées " pour faire plaisir ? Douleurs vaginales ? Difficultés de se dégager de la dichotomie entre la madone et la putain ? Perte ou manque de désir et/ou de plaisir (ménopause, prise de la pilule, soucis, stress, etc) ? Abandon de toute investigation sexuelle par déception de n'être jamais parvenue à atteindre le " graal " qu'est l'orgasme à la pénétration ? Renoncement après une sexualité qu'elles ont voulue uniquement reproductrice dans le but d'accomplir leur vocation de " mère " ? Etc Parmi ces femmes, certaines vivent très bien cette abstinence. Pour elles, le sexe n'est pas indispensable, l'énergie sexuelle est transposée dans d'autres domaines qui leur apportent satisfaction (leur emploi, des hobbys, les enfants, des relations amicales, des passions, ...). Elles trouvent une forme de plénitude et de sérénité à se détacher du corps. Une ascèse qui laisse de la place pour la recherche de quelque chose qui leur semble plus essentiel. Et puis, il y a celles qui souffrent... Celles qui se sentent anormales, bombardées de diktats véhiculés par les médias qui vont à l'encontre de leurs valeurs, de leurs besoins. On les appelle les " vieilles filles ", les " coincées ", les " ringardes ", les " frigides ", etc... Elles fuient les gens ou passent leur temps à se justifier (plus encore si elles ne veulent pas d'enfants !).
L'abstinence subie
Elles voudraient bien,
mais elles ne peuvent ... point !
À la différence des hommes (qui construisent davantage leur identité masculine sur la sexualité), les femmes pratiquent plus l'abstinence par peur du jugement social. Malheureusement, aujourd'hui encore, une femme qui multiplie les aventures est plus sévèrement jugée qu'un homme qui agit de la même manière. Ainsi, la femme célibataire est plus souvent soumise aux jugements réprobateurs de la société : on dira qu'elle est de " moeurs légères ", donc pas fréquentable.
C'est aussi pour beaucoup une " croqueuse d'hommes " libre, une rivale pour les femmes en couple, donc pas fréquentable... Alors pour éviter d'être fustigée, elle investit son rôle de maman (bénédiction de la société) ou de vieille fille bigote (ignorée de la société) et elle relègue dans le fond de son armoire ses décolletés, talons aiguilles et porte-jarretelles... pour qu'on cesse de porter sur elle un regard sexué. Pour avoir la paix également : la paix avec des hommes qui la fantasment et qui la convoitent, la paix avec des femmes qui la jugent et la méprisent (la jalousent aussi ?).
Et puis, il y a celles qui refusent d'ouvrir leur lit par crainte de l'intimité, par peur d'être envahie dans leur liberté nouvellement acquise ou longtemps maintenue, par peur d'être bousculées dans leurs habitudes. Accepter de donner son corps à un homme peut être vu comme une porte qu'on ouvre sur l'engagement. Et s'il tombait amoureux ? Or, elles craignent l'engagement : Est-ce le bon choix, le bon partenaire ? Quelles en seront les conséquences ?, Ne vaisje pas perdre ma liberté ? Mon individualité ne va-t-elle pas être engloutie dans le couple ? etc.
Quant aux mères célibataires (malheureusement encore trop nombreuses à avoir les enfants à charge), elles doivent souvent gérer leur vie professionnelle, les corvées familiales et l'éducation des enfants. Difficile alors de trouver le temps, l'espace et l'énergie pour de nouvelles rencontres. Une célibataire sans enfants peut facilement se permettre d'aller boire un verre après le boulot ou de recevoir un homme chez elle. Cependant, les mamans solos doivent-elles pour autant mettre leur vie de femme de côté au risque d'en souffrir ? Non, certainement pas. Annihiler sa sexualité le temps que les enfants grandissent peut-être néfaste pour ceux-ci puisqu'on leur donne la responsabilité d'un sacrifice qu'ils n'ont pas demandé. Ce que les enfants veulent, c'est une maman épanouie et heureuse. De plus, que feront-elles ces femmes-mères une fois les enfants partis ?
Certaines n'hésitent pas à maintenir leurs fonctions sexuelles grâce à la masturbation afin d'entretenir le désir, de se donner du plaisir, d'assouvir leurs pulsions, de vérifier que la machine fonctionne et s'en satisfont.
Mais, il faut attirer l'attention sur ce point : s'abstenir de toute relation sexuelle pendant un long moment peut rendre la reprise de la sexualité à deux plus difficile. Des difficultés d'ordre psychologique, relationnel et physique peuvent survenir. Appréhensions, doutes, stress (" Suis-je encore désirable ? ", " Mon corps va-t-il bien réagir ? ", etc.) vont entraîner des problèmes physiques (manque de lubrification, contractures réflexes des muscles périnéaux, douleurs à la pénétration). Des problèmes pas insurmontables bien sûr, mais il est important de le savoir.
Lib lib lib Hourra !
Elles ne le revendiquent pas spécialement, mais elles ne le nient pas non plus, elles aiment la sexualité et leur célibat leur permet d'en jouir en toute liberté. Elles ont choisi le célibat car elles ne veulent aucune entrave à leur autonomie. Elles ne veulent plus ou pas d'un statut d'épouse, de mère au foyer. Indépendantes financièrement, épanouies intellectuellement, professionnellement et sexuellement, la vie de couple et, pour certaines, la maternité sont vues comme des privations de liberté, comme des freins à l'épanouissement personnel. être seules les affranchit de la tâche de s'occuper des besoins des autres (du conjoint et/ ou des enfants) au détriment des leurs et de se recentrer sur soi, elles n'ont plus à négocier avec qui que ce soit et s'en disent heureuses.
On retrouve parmi elles :
> des " jamais pacsées " (célibataires depuis toujours et pour toujours), qui ont consacré toute leur énergie aux études, à leur carrière et qui ne souhaitent pas renoncer à leurs aspirations personnelles, à leur liberté individuelle.
> Des divorcées qui redécouvrent leur pouvoir de séduction ou revivent une seconde adolescence (ou une adolescence dont elles ont été privées). Elles se revivent (ou se découvrent parfois) en tant que femme dans le regard des autres hommes. Elles osent des pratiques sexuelles qu'elles ne faisaient pas avec le père de leurs enfants, portent des tenues que leur ex-mari auraient jugées indignes ou ridicules. Cette libération du corps et de l'esprit, cette révélation de leur féminité, les mènent parfois à atteindre enfin cet orgasme " vaginal " qu'elles ont tant cherché.
> Des mamans solos à double visage, qui s'épanouissent dans leur rôle de mère une semaine sur deux et dans celui de femme lorsque les enfants sont chez le papa et qui peuvent, grâce au divorce, concilier ces deux visages.
Leurs partenaires masculins sont des coups d'un soir (rencontrés en soirée, chez des amis, en vacances, dans la salle de sport, sur internet, en club libertin, etc), des sex friends (un ou des amis qui sont des partenaires respectueux, réguliers mais avec lesquels il n'y a aucun engagement) ou un amant marié. C'est qu'elles ne veulent pas, ou plus, ou pas encore s'engager. Soit qu'elles n'en ont pas l'envie, ou qu'elles n'en ont jamais eu vraiment l'occasion (l'homme idéal ne se serait-il pas encore présenté ?), ou encore qu'elles n'y sont pas encore prêtes (mauvaise expérience en couple auparavant? Deuil difficile de la précédente relation ? Présence des enfants à qui on n'ose présenter un nouveau partenaire ? Peur de l'échec et de la divorcéïte ambiante de nos sociétés ? etc).
Paradoxalement, ces célibataires heureuses vont attirer les regards des hommes et devenir, malgré elles, des candidates recherchées pour la vie de couple.
Mais, la solitude sied à ces femmes, elles ne s'en plaignent pas, elles la savourent parfois. Et même si certaines rêvent au grand amour, elles ne sont pas prêtes à hypothéquer leur indépendance et leur liberté pour une vie de couple qui les rendrait malheureuses.
Nathalie Mayor
Article paru dans Filiatio #14 / juin - juillet 2014, abonnez-vous ou téléchargez gratuitement ce numéro.