Frapper les enfants a été très longtemps une pratique banale, commune, socialement acceptable, voire recommandée. Mais depuis les années septante, un nouveau type de rapport entre adulte et enfant fondé sur le dialogue et la libre expression se diffuse et détrône progressivement l'éducation à la dure.
Comme toute évolution touchant aux moeurs, le bouleversement des méthodes éducatives ne va pas sans heurts. Le problème des sanctions corporelles est donc régulièrement à l'agenda médiatique et scientifique, depuis plus de trente ans. De très nombreux documents (extraits de JT et de documentaires, essais, articles de journaux, témoignages écrits et oraux, études sociologiques ou psychologiques, ...) gardent la trace du cheminement collectif sur cette question. Leur examen permet de mesurer la progression des discours et des pratiques relativement aux punitions corporelles, et d'y trouver matière à se réjouir autant qu'à s'interroger.
Se réjouir, par exemple, de la disparition du martinet, instrument punitif encore en vente il y quelques décennies, souvent glissé sous le sapin par le Père Noà«l ou le Père Fouettard, et pas seulement avec des visées symboliques : " Commerçant, j'ai possédé un magasin de jouets de 1952 à 1985. Des martinets figuraient parmi les articles en ventes. Dans les années cinquante et soixante, les martinets se vendaient très bien. On achetait un martinet comme on achète une baguette de pain " (Patrick, 86 ans)." C'était un instrument très dissuasif dans les années soixante, il y en avait un dans pratiquement tous les foyers; il était très souvent pendu dans la cuisine près des torchons à vaisselle. Il était d'autant plus dissuasif que les mamans n'hésitaient pas à s'en servir " (Sophie) (1). Inimaginable aujourd'hui, le martinet " éducatif " ? Oui, trois fois oui. Qui oserait encore défendre l'usage d'un tel objet, en Europe ?
Cette belle unanimité est loin d'être acquise, en revanche, en ce qui concerne la fessée : on la défend ici, on la stigmatise là ; certains états l'autorisent, d'autres l'interdisent ; on l'emploie avec conviction chez les uns, avec culpabilité chez les autres. À l'analyse, la fessée se présente comme un " cas-limite ". Mieux : une frontière. Comme une frontière, elle sépare deux populations : ceux qui tolèrent qu'un geste soit porté sur autrui sans son consentement, ceux qui ne l'admettent pas. Comme une frontière, elle permet de passer d'un état à un autre : de la surexcitation à l'immobilité contrite, de la provocation à la soumission, ou encore de l'insouciance à la honte (côté enfant)... ou de l'exaspération à l'apaisement, ou à la culpabilité (côté adulte). Comme une frontière, elle trace une limite entre deux mondes : celui de l'éducation " violente " et celui de l'éducation " respectueuse "... si l'on en croit nombre des détracteurs de la fessée. Mais les choses sont-elles aussi simples ?
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Dossier paru dans Filiatio #13 / mars - avril 2014