Un père, plusieurs genres ?

Méandreuse et mal définie, la garde partagée est déjà  à  elle seule un sujet controversé car, si l'on y ajoute la notion de transidentité (i), les " a priori ", les préjugés et l'ostracisme refont surface. L'intelligentsia qui est pourtant la première à  défendre les droits et la dignité des minorités ne se fait pas le porte-parole de ce combat et ne se sent que fort peu d'empathie avec cette situation.

Il est de fait que personne ne choisit son genre : celui-ci nous est légué tel un héritage que nous avons le droit de refuser s'il ne représente aucune corrélation avec notre monde intérieur.

Christelle, qui vit cet état affectif, émotionnel et identitaire, vient de mettre en avant cette situation où la discrimination vécue face à  la justice quant à  la garde alternée est monnaie courante et jurisprudence tacite. Celle où la primauté du choix de l'identité liée aux attributs masculins l'emporte sur la réalité vécue comme une évidence par des âmes vivant au quotidien l'inadéquation entre l'identité sexuelle qu'elles ont l'intime conviction d'incarner et ce sexe figé par un acte de naissance à  l'état civil.

La transphobie (ii) existe bel et bien encore dans notre pays

Il semblerait que le cas de Christelle qui vient de " faire " les gros titres des journaux francophones étonne alors que cette situation existe bel et bien depuis des décennies. À l'instar de l'homosexualité dans les années ‘70 et ‘80, qui était cachée pour ne pas entacher l'image de la famille, la transidentité est un sujet qui dérange encore. Cependant, que peut-on reprocher à  une personne qui pose l'acte d' " être " entièrement et sans ambiguïté, sans pour autant renier l'amour qu'elle porte à  ses enfants. L'identité sexuelle assumée permet d'autant mieux à  la personne qui a posé un choix clair de se positionner clairement dans les principes moraux transmis à  ses enfants. Ce choix où le déni et l'incapacité à  vivre son être selon son identité intérieure ne constituent pourtant pas une option valide. Actuellement, certaines associations mettent en avant ces pères qui se battent au quotidien pour que leur droit soit reconnu. Ce en faisant fi de tout parti politique, de toute origine sociale, ethnique et/ou de genre.

La loi sur l'hébergement égalitaire existe depuis plus de dix ans déjà  mais ces personnes " différentes " sont toujours perçues comme une menace potentielle pour les enfants. Selon notre mode de pensée occidental, le choix de décider de son sexe est perçu comme une extravagance, voire un caprice né de moeurs décadentes alors que cet acte qui pourtant est rédhibitoire a pour origine une conviction intime qui habite l'être en souffrance depuis sa tendre enfance.

C'est le cas de Christelle, une femme transgenre, qui est aussi père de trois enfants. Cette réalité moins ordinaire (autour d'une personne sur cinquante serait transgenre, selon une récente étude flamande ) la confronte depuis plusieurs mois à  des discriminations dans le cadre de son divorce. Son procès pour avoir la garde alternée de ses enfants est en cours auprès du tribunal de Tournai depuis plusieurs mois.


Entrevue

Christelle, quel a été votre ressenti concernant la garde de vos enfants lors de votre procès à  Tournai ?

J'ai été déconcertée par le fait que le Tribunal ne m'ait jamais accordé la parole et se soit fondé sur les dires de mon ex-épouse pour ne m'octroyer que quelques heures par mois encadrées par les forces de l'ordre. Je ne suis pas une criminelle, juste une personne transgenre qui a fait le choix d'assumer son changement d'identité, changement dont je ressentais le besoin depuis l'âge de huit ans.. (...) Mes enfants, eux, ont cinq, neuf et onze ans et n'ont pas souffert de ma décision car, pour eux, je suis toujours leur papa. D'ailleurs, quand je leur ai demandé comment ils voulaient m'appeler, ils m'ont répondu que je serai à  jamais leur père. Mes enfants ont été désirés et aimés. Or ils se voient privés de mon amour et de mon attention pour le motif que je suis une personne transgenre. Ce fait n'a pourtant jamais été caché et était connu de mon épouse. Nous avons vécu maritalement pendant dix-huit années et, même si cette situation a dû engendrer une blessure narcissique, le bien-être de nos enfants devrait être une priorité, et non une guerre où la manipulation et les mensonges les plus blessants à  mon encontre ont été utilisés. Je ne peux humainement pas accepter que mon ex-épouse m'empêche d'apporter toute l'affection et le bonheur auxquels mes enfants ont droit sous le seul prétexte que mon identité de femme ne lui plaît pas.

Le texte de la loi encourage une répartition égalitaire de l'hébergement des enfants en cas de séparation des parents
Vous faites appel au mois de juin afin d'avoir la garde alternée de vos enfants, pensez-vous qu'il y aura une évolution de mentalité de la part du juge ?

J'ai la chance d'être défendue par une avocate qui est aussi co-présidente de l'Institut pour l'égalité des hommes et des femmes et qui a mis mon cas en exergue auprès de la justice et des médias. J'ai, suite à  sa demande, introduit un signalement auprès de l'Institut (ce dernier rappelle sur son site que dix pour cent des signalements qu'il reçoit proviennent de personnes transgenres. Or, la loi assimile une discrimination fondée sur un changement de sexe ou de genre à  une discrimination fondée sur le sexe et non parce que la loi belge oblige à  entreprendre des démarches médicales). J'espère que la situation évoluera de manière positive car je n'ai commis aucun crime ni maltraitance, comme mon ex-épouse l'a affirmé au cours du procès. Pour mes enfants, la transparentalité ne veut rien dire et ne change rien à  leur manière de nous voir (...) Il n'y a eu aucun signe de discorde avant ce divorce et ma démarche a, de plus, été totalement acceptée par mon entourage professionnel, familial et amical. Depuis des années, j'occupe un poste à  responsabilité chez Intrabel, qui prône la tolérance et s'occupe de manière relativement active afin que la diversité de genre ne soit plus perçue comme une déviance mais un cheminement mûrement réfléchi par ses employés. Ceci s'avère justifié au vu des obligations qu'impose la loi belge : suivi psychiatrique et médical, traitements hormonaux allant jusqu'à  la stérilisation.

Cette loi est d'ailleurs actuellement dans le collimateur d'Amnesty International, pour quelles raisons selon vous ?

Tout simplement parce que les conditions exigées par cette loi sont en contradiction avec la déclaration universelle des droits de l'homme. La loi exige de passer par plusieurs étapes qui constituent des traitements inhumains et dégradants. Je m'y suis pliée pour des raisons personnelles et pour obtenir la reconnaissance de mon identité à  l'état civil. Au cours du procès, il y a eu un refus explicite et réitéré, de la part de la partie adverse et des magistrats, de respecter mon identité tant que je n'avais pas été corrigée au registre national. Il m'appelait Sieur et mon ex-épouse Dame, termes qui ne sont plus usités depuis le moyen-âge ... et qui présumait de la suite du procès pour la garde partagée.

êtes-vous soutenue dans vos démarches par des associations ou des spécialistes en la matière ?

Je suis accompagnée par l'association Genres Pluriels dont je fais maintenant partie. Et, heureusement, quelques rencontres enrichissantes ont jalonné mon parcours, telles une sociologue de l'université d'Anvers qui vient de faire paraître une étude sur la transparentalité. Cette étude démontre que, lors d'une séparation si les enfants reçoivent l'amour inconditionnel de leurs deux parents, qu'ils soient hétéros, homos, bis ou transgenres, leur bien-être psychoaffectif est amélioré et ils risquent moins de désordre affectif dans le futur.

Donc, selon vous, la justice ne respecte pas non plus la loi de 2006 sur la garde partagée ?

Il y a une évolution dans les mentalités, même si la priorité est d'abord donnée à  la maman (...). Il y a aussi un enjeu financier dans le partage des droits, je pense notamment à  la pension alimentaire. Actuellement, seuls environ un tiers des enfants de parents séparés sont hébergés de manière égalitaire, c'est-à -dire 50 % du temps chez chaque parent, ou quasi égalitaire, au moins 35 % chez chaque parent. Il a pourtant été prouvé que l'hébergement égalitaire permet une relation significativement meilleure entre l'enfant et chacun de ses parents et améliore leur bien-être psychoaffectif.

Que stipule exactement la loi de 2006 ?

Le texte de la loi encourage une répartition égalitaire de l'hébergement des enfants en cas de séparation des parents, en distinguant deux cas : si les parents s'accordent sur la fixation d'un hébergement égalitaire, le juge doit homologuer leur accord " sauf s'il est manifestement contraire à  l'intérêt de l'enfant ". Si les parents sont en conflit, il charge le tribunal d'examiner " prioritairement " la possibilité d'une formule égalitaire si au moins un des parents la demande.

Qu'attendez-vous du nouveau procès qui aura lieu dans quelques mois ?

Que le bien des enfants soit pris en considération. Si la garde partagée n'est pas possible, alors que le tribunal m'accorde, au moins, la moitié des vacances scolaires, ce qui m'a été refusé jusqu'à  présent. Cette séparation dure depuis deux ans et la lenteur administrative ajoutée à  l'ineptie de certaines lois et des préjugés m'empêche d'avoir une relation avec mes enfants alors que ceux-ci sont en demande. Ma mère, qui habite près de chez moi, a le droit de les recevoir pendant les vacances mais pas moi ! Cela n'a aucun sens ...


(i)  Transidentités : terme coupole regroupant les identités non cisgenres. Au singulier, " transidentité " est utilisé pour désigner l'identité de genre d'une personne transgenre.
(ii) La transphobie est une peur irrationnelle à  l'égard d'une personne parce que cette personne exprime une identité de genre ou un rôle social de genre différent de celui qui lui a été " assigné " à  la naissance, par exemple à  travers un comportement non conforme au rôle social de genre binaire assigné, un traitement hormonal, la chirurgie, les vêtements ou les cosmétiques. La transphobie peut se manifester sous forme de violences physiques (insultes, agressions, viols ou meurtres), ou par un comportement discriminatoire ou intolérant (discrimination à  l'embauche, au logement, ou encore à  l'accès aux traitements médicaux). Les discriminations sont liées aux préjugés. Le principe du " mauvais corps par rapport à  l'esprit ou inversement " n'est qu'une légende urbaine savamment entretenue par le corps médical, la société et les médias. Cette légende urbaine en question a, par contre, énormément de conséquences néfastes : discriminations à  l'encontre des personnes transidentitaires, psychiatrisation (= dysphorie de genre), stérilisations forcées, propos haineux, amalgames en tous genres. Bien sûr, certaines personnes qui se posent des questions se parlent encore souvent avec les termes entendus et pathologiques (dissociation entre corps et esprit, " vraie femme ", " vrai homme ", le terme psychiatrique de " transsexuel ", etc.) et malheureusement, ce sont les termes psychiatriques qui sont les plus véhiculés dans la société.


Article paru dans Filiatio #27 - 4-5-6/2017