CRA – Chambre de Règlement à l’Amiable

Si la médiation est le mode de règlement du conflit familial le moins prisé par les francophones, elle a fait des petits dans les prétoires : méthode de consensus dirigé à Dinant (2012) et chambre de règlement à l’amiable au sein du nouveau tribunal de la famille (2014). Appréciés des parents, vantés par les juges qui s’y épanouissent, ces modes de règlement pacifique du contentieux font bouger les lignes de la pratique du droit familial et de l’idée de justice elle-même. Dialogue à distance entre deux professionnelles de l’humaine empathie.


Filiatio – L’origine de l’introduction de la Chambre de Règlement à l’Amiable (CRA) dans la loi du 30 juillet 2013 « portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse » est liée à la volonté du législateur de privilégier la médiation, sinon les autres modes de règlement de conflits. Votre pratique le confirme-t-elle ?

Myriam de Hemptinne - Quand je suis arrivée à la Cour d’appel, on votait la loi sur la médiation. J’ai pris cela à la lettre et j’ai commencé à y envoyer les gens « à la pelle » parce qu’à ce moment-là, arrivés à la Cour, ils se trouvaient face à un juge - j’avais fait un peu de communication non-violente - qui les mettait dans une posture autre que celle à laquelle ils étaient habitués. J’essayais dès la première audience de mettre en valeur les besoins de chacun et de faire réagir l’autre par rapport à cela. Bref, loin de l’idée de laisser croire que l’un avait tort et l’autre, raison. J’essayais de démontrer que les justiciables avaient énormément de potentiel en eux pour trouver les solutions. Je leur donnais un avant-goût de cette magie qu’est la médiation. Et ça marchait très fort. Dix ans plus tard, tout le monde a entendu parler de médiation bien avant d’arriver à la Cour d’appel, avant même d’aller chez l’avocat, on en entend parler dans la société civile. Puis, l’avocat va déjà envoyer son client en médiation. Puis, éventuellement, si on fait quand même le pas vers la justice, le juge de Première instance va conseiller la médiation ou offrir la possibilité de la CRA.

Filiatio - Qu’est-ce qui aujourd’hui explique qu’un magistrat d’appel va proposer la CRA plutôt que de prendre le dossier et de se prononcer ?

M. dH. - Ça peut être très variable. Je crois que dans chaque histoire de justice, il y a des momentum qui peuvent être différents pour les uns et pour les autres. Il y a des gens qui ont eu besoin soit de faire des tentatives qui ont échouées, soit de se référer tout de suite au juge de la famille et de se voir confrontés à cette imperfection de la justice ou à cette incapacité de la justice à répondre à toutes leurs attentes. Il arrive qu’en degré d’appel, on remarque que ce que le juge a produit en Première instance a fait bouger les lignes, a créé de nouveaux problèmes qu’on n’avait pas vus au départ, a permis aux gens de prendre conscience des limites de la justice, ... Il y a toutes sortes de situation qui font qu’à ce moment-là de leur contentieux familial, des parents séparés peuvent convenir que de se mettre autour d’une table avec l’aide d’un autre juge peut être utile.

Filiatio – La nature du contentieux influence-telle l’orientation judiciaire du dossier ?

M. dH. - Bien sûr, nous connaissons les dossiers très conflictuels, ceux où les enfants sont abîmés par le conflit entre leurs parents, où il y a de l’aliénation. Mais pas seulement. On voit arriver beaucoup de dossiers où l’on ne parvient pas à se mettre d’accord sans pour autant se détruire mutuellement. Il y a évidemment beaucoup de contentieux liés aux questions financières parce que la manière dont le juge a fait ses calculs comporte des erreurs ou ne vous plaît pas. Ces dernières années, j’ai eu tendance à envoyer en CRA ces questions financières liées au contentieux familial. Ce qui peut surprendre car l’on pourrait penser que ce que l’on va résoudre autour de la table, ce sont les questions qui touchent à la parentalité, aux émotions plus qu’à l’argent. Quand derrière un dossier, je sens qu’il y a encore toute la blessure du couple, tout le problème du deuil, alors j’oriente plutôt vers la médiation. Quand j’envoie en CRA, c’est parce que je pense que la situation peut être résolue grâce au regard, à la posture, à l’autorité du juge qui peut guider les parties, ce qui est interdit au médiateur qui est avant tout un facilitateur. Le juge n’a pas ces contraintes-là. Il peut à la fois laisser s’exprimer les choses dans une sorte de bienveillance où peuvent faire irruption des éléments qui n’ont rien à voir avec les problèmes mais qui ont besoin d’être dits. Et, il peut aussi rappeler le mandat, revenir à ce qui est pertinent, regarder les chiffres, informer sur le comment se construit le raisonnement du juge et, ensemble, avec les justiciables, cheminer vers un accord. J’ai constaté qu’au niveau financier, cela fonctionne très bien parce qu’on construit ensemble les calculs. C’est alors qu’apparaissent souvent les nombreuses difficultés liées aux contestations des frais extraordinaires, aux prises de décision concernant le choix des activités, leurs coûts, la manière dont l’un met l’autre devant le fait accompli, avec tout ce qui a là derrière en termes de parentalité mais aussi d’organisation. Toutes les petites choses concrètes liées à l’organisation pratique peuvent se discuter en CRA.

Filiatio – Vous avez parlé de « magie de la médiation », comment se déroule une de vos audiences de CRA ?

M. dH. – Au départ du dossier, je sais les points dont judiciairement je suis saisie. Pouvoir vider la saisine est évidemment mon objectif. Je commence en invitant chacun à parler pendant dix minutes, à pouvoir exprimer, sans être interrompu, ce pourquoi il est là, ce qui lui semble important ainsi que les points qu’il souhaite mettre sur la table. Je précise également à celui ou celle qui parlera en second de ne pas chercher, à ce moment-là, à répondre à ce qui a été dit mais plutôt à dire à son tour ce qui, pour lui, est important. C’est très édifiant de démarrer comme cela. Pendant qu’ils parlent, je note au vu de tous, dans deux colonnes, ce qui est dit. C’est notre point de départ. Évidemment, j’ai mes notes et mes petites fiches, je n’ai pas oublié les points précis qui figurent au dossier (p.e. les trajets du mercredi soir, le montant de la contribution alimentaire). Mais, cet exercice préliminaire permet de faire émerger ce qui est le plus important aux yeux des personnes. Et l’on constate parfois que le conflit financier est moins important que le souci de solutions équilibrées, justes, en tous les cas, perçues comme telles ou encore la reconnaissance du principe que tous les deux participent aux décisions, ... Tout cela pour dire que c’est l’occasion pour les parents de mettre sur la table des choses qui peut-être ne sont pas directement utiles pour arriver à la solution judiciaire, pour vider la saisine.

Filiatio - À vous entendre, on pourrait conclure que le B.A.-BA de votre métier, c’est de donner du temps pour que l’histoire des parents, du couple se raconte ?

Bee Marique - C’est une des base de la médiation, prendre le temps pour que l’histoire ou les histoires se racontent et qu’elles se comprennent.

Filiatio – Le conflit entre les parents, la posture des avocats, tout cela ne disparaît pas d’un coup de baguette magique ?

M. dH. - La CRA est un endroit où des choses fortes peuvent se dire. L’évolution qui a amené la CRA est liée à l’évolution générale de la société et de l’humanité qui s’inscrit de plus en plus dans un refus de l’autorité, dans une recherche d’autodétermination. La CRA est une modalité de cette recherche-là. Je serais moi-même dans un conflit familial, j’aurais besoin de garder la maîtrise d’une situation. Personnellement, je ne suis pas opposée au conflit. Il a sa raison d’être. Il permet aussi aux gens d’évoluer. Il faut pouvoir se dire les choses et quand on est par exemple manipulé par l’autre, il faut pouvoir cogner verbalement. Mais, à un moment donné, il faut que les gens puissent reprendre le contrôle de leur vie et se dire : « On fait quoi maintenant ? », « Quel va être notre lendemain ? », « Quelles sont les blessures que peut-être tu peux m’aider à guérir en demandant pardon ou en faisant un travail commun », « Quelles sont les blessures que je vais devoir soigner tout-e seul-e, chacun de son côté ? » Je crois beaucoup au développement personnel. Mais le juge sera toujours nécessaire. On ne peut pas obliger les gens à se mettre d’accord s’ils n’y arrivent pas.

Filiatio – Vous partagez cette conviction ? Le conflit est important, « il a toute sa place » ?

B. M. - La première question à se poser est de savoir comment lit-on une situation ? Doit-on partir d’en haut, du point de vue des règles et des principes énoncés par la société dans ses lois ou considère-t-on en priorité le point de vue, les demandes et les besoins des personnes ? Je prends l’exemple d’un client qui, lui, est demandeur de toute forme de solutions amiables. Son ex-compagne ne veut pas en entendre parler malgré une posture de l’avocat, bienveillante, pour tenter d’apaiser ses craintes par rapport à la co-éducation de l’enfant. Je comprends que ce qui motive son refus, c’est la blessure de la séparation. Je suis forcée d’introduire au tribunal de la famille. Ceci dit, sur le fond, je m’interroge.Si le conflit est quelque chose dont les parents ont besoin, je pose une autre question : « Que fait-on des enfants pendant que les parents ont besoin de ce conflit ? On les cryogénise ? Qu’advient-il de la sérénité, de la qualité de vie du bébé de 6 mois, de l’enfant de 3 ans dont les parents se battent ? » Le conflit est peut-être un besoin humain, mais pour cela, il y a des psys. Peu importe la manière dont les parents vont gérer ce besoin là,il n’a pas sa place dans les tribunaux lorsqu’il est question de l’hébergement des enfants, de leur prise en charge éducative, des valeurs que l’on veut leur transmettre.

Filiatio - Le modèle juridique belge qui reconnaît, sauf exception, l’égale capacité éducative (et d’hébergement) des deux parents en cas de séparation n’est-il pas un incitant suffisant à privilégier un accord amiable ?

B.M. - D’une certaine façon, oui, merci à la loi de 2006. Cela nous permet d’avancer, de chercher à rencontrer les craintes, les objections du parent qui s’oppose à une demande d’hébergement égalitaire. C’est de cela qu’il s’agit le plus souvent. Il est courant que l’opposition à un hébergement égalitaire ne se fonde sur aucun élément qui rendraient la coparentalité égalitaire impossible. Les gens viennent avec deux ou trois craintes, des peurs, des angoisses sur lesquelles on peut discuter, que l’on peut rencontrer, déminer. Je ne conçois pas mon rôle au tribunal comme une opposition à l’autre. Dans ma manière d’être, de considérer l’autre parent, d’en parler, dans mes choix de procédure, je veille à le comprendre, à prendre en compte ses craintes mais je montre que, avec ou sans lui, mon but est d’avancer vers le meilleur règlement possible de la séparation.

M. dH. - Les gens arrivent devant la justice, déposent leurs paquets et pensent que vous allez tout résoudre. C’est l’impression que nous en avons. On a l’impression qu’ils sont tellement pris dans leur mal-être qu’ils ne savent plus quoi et que vous, le juge, vous allez les en sortir. Or, on n’est pas là pour ça. On doit les responsabiliser, on doit leur faire comprendre que nous essayons de faire du sur-mesure, mais nous ne faisons pas de la dentelle non plus. On a beaucoup trop de travail pour cela, en tous cas, en Première instance, on n’a pas le temps de les écouter comme ils le voudraient. On ne fait pas non plus un travail thérapeutique. Même si on le voulait, le système ne le permet pas. Il y a trop de dossiers, les audiences sont trop surchargées, la posture des avocats fait que les gens sont montés les uns contre les autres.

Filiatio - N’est-ce pas le système lui-même qui organise, qui a favorisé une représentation policée de ce qui reste un conflit entre deux parents, chacun représenté par un professionnel de la joute, du combat dont les revenus sont liés à la durée du conflit et présidée par une autorité, le juge, que tous vont tenter de convaincre de leur vérité. Chaque partie demande justice mais où est l’idée commune de justice ?

B. M. – Quand, en 2012, on me présente la méthode de consensus dirigé de Cochem, je me rends compte que jamais, dans ma culture d’avocate, je n’ai été confrontée à une vision conflictuelle de ce métier. Et si je devais l’être, je me dis que je devrais quitter le Barreau. Parmi tous les parents que j’avais rencontrés jusqu’alors, personne ne voulait d’un conflit. J’étais confrontée à des détresses et des demandes d’aide urgente pour sortir de leur instabilité affective, parentale, financière. Tous les parents que je rencontre consultent avec ce questionnement : « Je ne sais pas ou plus et je viens voir un professionnel pour m’aider », pas pour la guerre, pas pour le conflit . Ils ne viennent jamais pour cela. Quand je voyais fonctionner certains confrères, quand je les entendais parler de leurs clients qu’ils ne connaissaient même pas, j’étais sous le choc, je ne comprenais pas, j’avais de véritables bugs cérébraux en audience, en lisant les courriers. Pour moi, il s’agit avant tout d’un être humain qui vit une séparation, qui est parfois proche de la dépression et je me dis : « Mais qui suis-je pour en remettre une couche ? » Mon métier, c’est donner du sens à ce que je fais, me dire que la manière dont je l’exerce va faire que tout ce que j’aurais pu dire ou accompagner ira, au final, vers un mieux pour ces parents qui viennent me voir pour cela. Je suis convaincue que le train de la recherche du bonheur de l’enfant, de son bien-être, de ses droits, de la responsabilisation des parents, ce train-là, il avance. Certains confrères peuvent rester sur le quai s’ils le veulent ; moi, j’ai envie de monter dedans. Le dernier gros choc que j’ai eu, c’est à propos du contenu de la formation en «droit collaboratif». L’attitude de certains confrères impose aux formateurs de revenir sur la base : saluer l’autre partie, de ne pas être dans une logique guerrière et agressive : « On va respecter l’autre ». Je tombe des nues : c’est une insulte à la profession !

M. dH. - Il ne faut pas non plus négliger le fait qu’il s’agit de personnes, de personnalités, ensemble, dans un système judiciaire qui organise une opposition l’un contre l’autre, là où Marie-France Carlier par exemple essaye de désamorcer cet effet du système. Mais Dinant est une petite juridiction, un petit Barreau. Je le précise sans rien enlever du très grand mérite de la juge Carlier. Ce qu’elle fait est génial et c’est dans ce genre de juridictions qu’il faut semer les graines À Bruxelles, ce n’est pas possible. Il y a des personnalités tellement différentes parmi les juges, parmi les avocats etc. On a besoin parfois de se confronter au tribunal, puis de se rendre compte que ça ne marche pas, qu’on va encore en appel, qu’on va devoir revivre tout cela, ... À ce moment-là, la CRA représente une réelle alternative pour les justiciables, mais aussi pour leurs avocats qui ont vécu et connaissent le dossier, qui ne sont plus tellement prêts à lâcher leur client dans une médiation où finalement, eux, n’ont plus leur place. Tandis que dans une CRA, ils gardent leur posture d’avocats et ils peuvent la vivre autrement, être une aide au juge, un conseil et c’est très gratifiant pour eux aussi. Je constate que les avocats sont assez demandeurs.

Filiatio – Je voudrais vous faire réagir à un constat critique posé justement par deux avocats, Pauline Knaepen et Jean-Louis Renchon (2018) à propos de la CRA.

« Ce n’est assurément que si les audiences sont nombreuses, si le temps qui est consacré à chaque dossier est suffisamment long et si les magistrats qui tiennent ces audiences s’investissent eux-mêmes pleinement dans l’accomplissement d’une tâche qui est ardue qu’une chambre de règlement à l’amiable peut devenir un mode de résolution amiable des conflits suffisamment opérationnel. »

« Force est à cet égard de reconnaître qu’il y a un énorme paradoxe à ce qu’alors même que les magistrats sont déjà en difficulté de pouvoir absorber au sein des chambres de la famille le nombre très important de causes qui leur sont soumises, ils devraient idéalement, dans le même temps, accroître leur charge de travail en consacrant à une ou plusieurs chambres de règlement à l’amiable le temps considérable qu’exige, dans des conflits à haute densité émotionnelle, un véritable travail de conciliation. » (1)

M. dH. - Il est dit « accroître la charge de travail » : oui et non. Il est vrai que la CRA ne fonctionne que si les magistrats parviennent à avoir du temps et que si l’on croit à l’aboutissement d’accords. En terme managérial, on est bien obligé de mettre les forces vives là où elles vont rapporter le plus. Toutefois, si vous prenez l’exemple d’un dossier qui va suivre la voie habituelle, les conclusions des avocats, le temps important, les nombreux incidents potentiels qui vont intervenir et les changements, les quelque 50 pages parfois dont il faut prendre connaissance, vous imaginez le temps que le magistrat va passer à sortir un output final quand, dans une CRA, les parties aboutissent à un accord au bout de deux, voire trois séances, sans besoin de rédiger des motivations. Maintenant, s’il n’y a pas d’accord, et que l’affaire doit revenir dans le circuit normal, on aura perdu son temps. Je précise : on aura perdu son temps du point de vue d’un management de la justice, mais pas du point de vue des personnes parce qu’ils auront fait un travail qui peut-être aura dégrossi la chose ou aura permis de faire bouger des lignes.

Filiatio – Finalement, le résultat de la création du tribunal de la famille et du comment ses juges font évoluer la justice de conciliation n’est-elle pas une affirmation d’un système judiciaire dont les valeurs et les principes sont incompatibles avec une gestion managériale ?

M. dH. - Je pense qu’il faut arrêter de réfléchir à la justice en termes de management. Mon métier, la Justice, n’a de sens que par son caractère humain, profondément humain. J’ai très mal vécu de passer dans certaines chambres où je ne pouvais pas apporter cette humanité. C’est probablement lié à ma personne. Mais, je constate que beaucoup de mes collègues ont ce même besoin ; pas tous. Je pense qu’il y a une évolution des générations. Quand j’ai commencé en référé, de grands magistrats ne s’intéressaient absolument pas à la médiation. À l’époque, l’idée était que les magistrats étaient là pour trancher, pour décider. Pour autant, il ne s’agissait pas de juges secs et froids, sans humanité. Mais, il y avait d’un

côté la médiation, la conciliation en dehors du tribunal et de l’autre, la décision judiciaire. J’ai la faiblesse de croire qu’un autre modèle s’est affirmé même si depuis mon départ de la Cour, j’ai le sentiment d’un resserrement. Cette idée de rechercher l’orientation parfaite d’un dossier en fonction du cas particulier n’est pas communément partagée. Et peut-être, celles et ceux qui pensent cela ont-ils raison ? Peut-être est-on en train de se perdre ?

Filiatio – Quelle serait la place de la justice familiale dans une société où le règlement amiable s’opèrerait aux frontières des tribunaux ?

B.M. – Je ne suis pas loin de considérer que, ou il y a la médiation hors justice, ou il y a le juge, les avocats, les experts, bref le tribunal de la famille mais dans sa version « méthode de consensus de Dinant ». En ce sens, la CRA serait une étape inutile. Sauf à considérer, comme je le pense, que la CRA est une réponse à la frustration du juge de la famille qui agit dans le cadre normal du tribunal, c’est-à-dire de devoir décider, de devoir trancher dans un conflit. Je suis convaincue que les juges ont utilisé la CRA pour sortir de leur rôle traditionnel et pour compléter leur expertise de toutes les compétences qu’ils jugent nécessaires pour pouvoir faire du bon travail mais qu’ils ne peuvent pas déployer dans le cadre d’une audience classique du tribunal de la famille qui les limite terriblement. Il est évident que les juges utilisent la CRA pour faire de la médiation, pas seulement de la conciliation. Le juge y prend un plaisir que je comprends.

M. dH. - A la Cour d’appel, on a sauté sur les possibilités de la CRA avec beaucoup de plaisir. J’attendais cette opportunité depuis très longtemps. Je dis souvent que dans une autre vie, j’aurais dû être médiatrice parce que j’ai besoin de pouvoir aider les gens à grandir plutôt que d’incarner et d’agir en tant qu’autorité « bête et méchante » qui donnera tort à l’un et raison à l’autre. Je ne cache pas qu’il est très gratifiant pour un juge de travailler avec les gens pour aboutir à un accord qui fera évidemment moins conflit par la suite. Toutefois, le juge ne doit pas vouloir obtenir cet accord à tout prix. Il y a là une forme d’humilité à avoir. Je n’ai pas réussi ma journée si j’ai obtenu un accord. Et inversement. Il y a là un travail à faire sur soi-même par rapport à notre ego, nos objectifs. Le danger serait de forcer l’accord ce qui n’est pas bon non plus. Mais, en tout cas, on doit avoir en tête les points qui doivent être résolus sur le plan judiciaire.

B.M. - La justice reste nécessaire parce que ce qui sécurise les enfants et leurs parents, c’est le cadre. Même si le cadre est le résultat d’un accord entre les parents. Idéalement, les parents devraient, dès la maternité, réfléchir à leur philosophie parentale, aux valeurs éducatives à transmettre, à la religion ou pas dans laquelle élever l’enfant, etc ... C’est cela le cadre de référence. Et lors de la séparation, ce sont le plus souvent ces éléments-là qui posent problème.

Filiatio – On a évoqué la médiation, la méthode de consensus de Dinant, la CRA. Quelles sont les différences, les spécificités ?

B.M. - Je ne me pose pas la question comme cela. Pour moi, il y a des parents, des parents alcooliques, des parents maltraitants (sans que ce ne soit encore protectionnalisé), des parents angoissés. La méthode de consensus de Dinant qui est ma pratique principale prend tous ces problèmes, même ceux qui relèvent du très très haut conflit, avec une logique de lecture et une stratégie communes à tous les intervenants. Il est question d’alcoolisme ? On respecte le parent en face, on cherche à objectiver ensemble ce qui va permettre un débat qui peut très bien aboutir à reconnaître la réalité d’un parent alcoolique mais qui n’est pas un mauvais parent, qui n’est pas incapable de prendre son enfant en charge. C’est le rôle de notre expertise collaborative de déterminer si et dans quelles conditions cette prise en charge est possible.

Filiatio - Cette approche là fonctionne également dans les cas de violences conjugales ?

B.M. - D’abord, on essaye de déterminer de quoi l’on parle, à quelles violences, il est fait référence ? Je ne compte plus le nombre de fois où nous avons entendu dire, par les mères, que le père est un pervers narcissique et, par les pères, que la mère est aliénante. Nous démystifions en amont ces discours-là avec nos clients. On essaye là-aussi de nommer les choses, de les objectiver. Existe-t-il un casier judiciaire qui fait état d’actes répétés de violences ? Des faits de violence ont-ils été signalés aux autorités ? Ou est-on confronté à une scène entre conjoints ? Comme médiatrice, j’ai l’habitude de travailler ces cas concrets de violence conjugale, même importante. La logique de la méthode de consensus, c’est d’essayer de détricoter les choses, d’y voir clair, de poser les bonnes questions : « Qu’est-ce qui fait que madame pense «violence» ? », « Qu’est-ce qui fait que monsieur pense qu’il n’est pas violent ? » Nous essayons de plonger dans leur culture, dans leur histoire.

Filiatio - Cela prend du temps. Pour reprendre vos propos, que fait-on des enfants pendant ce travail ?

B.M. - L’originalité de la méthode de consensus, c’est que dès la première audience, un cadre provisoire est fixé pour l’enfant, pour les parents.

Filiatio - Le danger alors n’est-il pas d’aller de provisoire en provisoire, plutôt que de sortir avec un jugement ou un accord amiable définitif, autant qu’il puisse l’être ?

B.M. - On fera du provisoire aussi longtemps que les parents souhaitent du provisoire. À la seconde où ils sont d’accord sur tout, on est d’accord sur tout. Cochem (version Dinant), c’est une pyramide où l’on travaille du bas vers le haut. Le juge et les avocats sont au service de cette logique-là.

Filiatio - De nombreux justiciables disent préférer la CRA à la médiation parce que la personne du juge rassure et empêche que n’importe quoi ne soit raconté. La CRA aurait pris ou prendrait toute la place de la médiation ?

B.M. - C’est le problème de la médiation et des médiateurs, pas celui de la CRA ou des juges. Dans ma pratique de médiatrice, je suis extrêmement cadrante, il n’y aura pas du n’importe quoi dans mon cadre de médiation. Aujourd’hui, il n’y a pas d’uniformité de ce qu’est la médiation. Je peux témoigner de ma pratique, de ce que j’entends par médiation, de ses objectifs et finalité de mon point de vue.

Filiatio - Comment réagissez-vous aux résultats du baromètre de la Ligue des Familles qui place la médiation comme le mode de résolution du contentieux familial le moins utilisé ?

B.M. – Là aussi, cela questionne davantage les compétences des médiateurs. Lorsque j’ai suivi la formation de médiateur, j’ai été surprise de voir le peu de médiateurs professionnels présents. Comme avocate, spécialisée en droit familial, c’était pour moi une évidence de me former à la médiation. Mais autour de moi, j’avais par exemple des architectes en reconversion de carrière, des gens qui eux-mêmes traversaient un épisode dépressif, de remise en question. Il y avait, selon l’expression consacrée, « un peu de tout ». Je ne juge pas, je ne les ai pas vu travailler par la suite. Mais, je crois qu’il existe un écart entre une formation à horaires décalés de deux ans et un métier, celui de médiateur, qui m’apparaît être le plus complexe, faisant appel à une grande variété d’outils et de compétences qui nous permettent d’intervenir même en guidance familiale au niveau protectionnel, faisant évidemment appel à une connaissance approfondie du droit familial, et, si j’en crois mes superviseurs, à un savoir faire réel en matière de santé mentale, de travail psychologique. La médiation relève de cette complexité-là qui est recherchée par les juges qui y recourent. Or, si je devais fonder ma pratique uniquement sur ma formation de médiatrice, je ne pourrais pas répondre à cette exigence.


(1) Agendas chargés et période des vacances obligent, Myriam de Hemptinne et Bee Marique ne se sont pas rencontrées lors d’une interview commune. Filiatio a réalisé un entretien avec chacune d’elles et, pour les besoins de ce papier, nous avons reconstitué ce qu’aurait pu être (une partie de) leur dialogue.


BIOS BREVES DES DEUX INTERVENANTES


POUR ALLER PLUS LOIN

> Knaepen, P., & Renchon, J.L.(2018). L‘audience. In J. Sosson & van Drooghenbroeck (Eds), Le tribunal de la famille : des réformes aux bonnes pratiques (pp. 117-205). Bruxelles : Les Cahiers du CeFAP, Larcier. Ed.Bruylant.


Article paru dans Filiatio #35 - 09-10-11/2019