Une danse qui se danse à  deux

Les relations entre les parents et l'école ont beaucoup évolué durant ce dernier quart de siècle en Europe et outre- Atlantique, et de nombreuses recherches ont accompagné cette évolution. Par ailleurs, ce qu'on appelle aujourd'hui la parentalité s'est transformé en lien avec les changements de la société. Cette duplication de changements amène à  se demander dans quelles mutations nos institutions sont prises et vers quoi les politiques sociales sont obligées de tendre. Ou à  quoi, parfois, elles doivent résister. 

Chacun cherche son partenaire

À une époque, pas si lointaine, nombre d'enfants provenaient de familles dites " nucléaires ". Ces compositions ayant fondamentalement changé aujourd'hui, l'école occupe une place nouvelle dans une configuration qui n'est plus seulement parent-école mais aussi, quelquefois, parent#1-école-parent#2. Cette donne étant modifiée, son rôle est-il différent de celui qu'elle jouait auparavant ? Par ailleurs, quand on sait combien les jeunes enfants (autant que les adolescents mais l'exprimant autrement) sont sensibles aux tensions émotionnelles et relationnelles, autant qu'aux singularités qu'ils véhiculent (potentiellement discriminatoires), quelle place est octroyée par l'école à  leur ressenti singulier ? Une structure existe-t-elle pour accueillir des aspects spécifiques de la vie familiale des enfants ? Si oui, quelle est-elle ? Est-elle la même pour les enfants de tous âges confondus ? Telles sont les questions que nous nous sommes posés. À certaines d'entre-elles, l'institution n'a pas pu répondre. De fait, toutes les réponses n'existent pas encore.

Tentative de chorégraphie

D'après les enseignants rencontrés, bénéficier de séances de recyclage en adéquation avec les schémas familiaux d'aujourd'hui, une préparation qui compléterait leurs expériences personnelles et professionnelles, permettrait d'apporter de meilleures réponses au vécu des enfants et aux comportements que les expériences difficiles de la maison génèrent à  l'école. De fait, souvent, ils déplorent le tohu- bohu parental et comment celui-ci affecte le bien-être des enfants dont ils ont la charge. Un tohu-bohu qui, parfois, met l'enfant carrément sur la touche lors des activités de groupe et face auquel ils se sentent bien démunis.

Valérie nous a appris qu'au Québec, par exemple, il existe des formations données aux enseignants pour les préparer à  appréhender l'homoparentalité de façon ouverte. Ne pourrait-on pas imaginer que de telles formations s'appliquent aussi à  la prise en considération des séparations parentales et de comment elles les perturbent dans leur milieu scolaire ?

Sur quelle piste ?

L'école n'est pas une organisation comme les autres : elle travaille sous le regard des parents et de l'opinion. Ce qui l'oblige à  assumer constamment deux fronts : tenter, à  l'intérieur, d'affronter les vrais problèmes, tout en maintenant une façade respectable. Récemment, chez-nous, les évocations d'éventuelles réformes des contenus de l'enseignement ont complexifié ce contexte en inquiétant à  la fois parents, enseignants et intellectuels. À raison. Toutefois, il est clair que l'école ne peut pas dire qu'elle ne sait pas, qu'elle doute ou qu'elle se trompe. À la moindre remise en question, elle donne des armes à  ses détracteurs. Ainsi, se demander si une réforme importante est judicieuse ou si une autre a atteint ses objectifs semble découler du bon sens. Et bien non. Quand des responsables du système éducatif se posent ouvertement une question, elle est immédiatement interprétée comme une autocritique ou un aveu d'incertitude.

Or il est essentiel que l'école demeure un espace où les enfants découvrent et ouvrent de nombreux possibles. Un pont entre les savoirs du passé et les interrogations du futur. L'inverse d'un lieu restrictif, dévalorisé ou balisé en excès.


Force est de constater que l'avenir des familles se joue avant tout à  l'école qui est l'intercesseur entre les enfants et l'intégration de la norme.
Pierre Delion(1) : À l'école, un rituel prévoit la confection d'un cadeau, d'un poème pour la fête des pères ou des mères. Inévitablement, des questions vont émerger si un parent est décédé, malade, absent,... aujourd'hui celles-ci sont amplifiées par les nouvelles configurations familiales : parents séparés, familles monoparentales, couples homoparentaux...
Plus que la création d'un cadeau, c'est l'ambiance, les échanges dans la classe à  cette occasion qui permettent à  l'enfant de se resituer. La discussion ouverte en collectif porte l'enfant vers une appropriation de sa propre histoire : “Et toi ton papa, il est où?”, “Moi ma maman, je la vois pas tous les jours...” Lors de cette fête annuelle, l'enfant replonge dans ces questionnements, se resitue dans le décor familial. Il réinterroge ses origines pour mieux se les approprier, fait des réajustements....
Pour l'enseignant, ce foisonnement d'interrogations ouvre le risque de se sentir démuni dans les réponses à  apporter au point d'éviter parfois de perpétuer cette tradition. Un échange entre collègues peut ouvrir des pistes concrètes, aider à  réfléchir aux questions qui surgissent,...
En tant que professionnels et adultes, la ritualisation d'une fête soutient le questionnement des enfants. Une belle occasion pour les accompagner dans leurs interrogations sur leurs origines et leur vie. Hors du normatif, l'adulte sera alors attentif à  ouvrir la liberté d'expression et à  penser à  toutes les configurations familiales en laissant l'enfant cheminer.
Refaire chaque année les mêmes fêtes est une manière de ritualiser et de ne pas oublier. La fête des mères, des pères est une façon de repenser l'originel " D'où je viens? "

 1 Pierre Delion est un psychiatre, professeur des universités- praticien hospitalier émérite en pédopsychiatrie à  l'université de Lille-II et psychanalyste français.


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Paru dans Filiatio #29 - 3-4-5/2018