F. : Est-ce que l'hébergement égalitaire peut être néfaste aux enfants, en particulier en bas âge ?
B.V.D. : Tout d'abord, la question de savoir si l'hébergement égalitaire est profitable ou non est une mauvaise question. La bonne question est plutôt de savoir dans quel cas, pour tel enfant, tel système d'hébergement a le plus de chances de lui permettre de garder le meilleur lien possible avec chacun de ses parents. Ce meilleur lien possible doit tenir compte, d'une part, des besoins de l'enfant, de son passé affectif et relationnel, du contexte et du paysage de sa vie, mais aussi du milieu au sens très large et du milieu parental. On se pose la question des rôles parentaux, père et mère : la question est plus de savoir, selon les conditions et selon les sensibilités et les compétences de chacun, comment répartir les rôles parentaux de manière à ce que l'enfant puisse bénéficier au maximum des compétences de chacun. Auparavant, les décisions de garde étaient en fonction de qui avait " fauté " : on relativise aujourd'hui la croyance selon laquelle une mère ou un père négligent vis-à -vis de son/sa conjointe est d'office un mauvais parent.
Pour moi, l'hébergement égalitaire ne devrait pas être pris entre les " pour " et les " contre ", il faut surtout voir quels sont les cas où il peut être mis en place. Dans la pratique, je vois parfois certains juges ou intervenants fonctionner avec un curseur différent selon leurs préjugés personnels : il peut y avoir des excès dans chaque sens.
Parfois, on force les choses à vouloir maintenir un hébergement égalitaire pour un enfant qui montre de vrais signes de mal-être ; d'un autre côté, certains intervenants renoncent vite à cette forme d'hébergement parce que les enfants expriment leur " envie " : mais leur " envie ", ce n'est pas forcément leur " intérêt ", et cela est d'autant plus grave dans les cas où l'un des parents manipule l'enfant. On confond envie, besoin et intérêt de l'enfant.
F. : Pouvez-vous identifier des avantages ou des inconvénients spécifiques de l'hébergement égalitaire en comparaison avec d'autres modes de garde ?
B.V.D. : Le fait qu'on ait privilégié l'hébergement égalitaire consacre le principe de l'égalité parentale au niveau symbolique : la mère n'est plus considérée comme exclusive dans l'éducation, le lien, la responsabilité des enfants. Cela montre aussi que les hommes peuvent tout à fait assumer un rôle parental qui répond aux besoins fondamentaux des enfants.
Par rapport aux schémas classiques et stéréotypés, on constate que ces cinquante dernières années ont considérablement relativisé la question de la " normalité ", et l'hébergement égalitaire va dans le sens d'une tolérance par rapport à la redéfinition des rôles parentaux. Enfin, l'hébergement égalitaire a, sur d'autres formules, l'avantage de protéger contre le risque de perte du lien parent-enfant en cas de séparation conflictuelle.
F. : L'hébergement égalitaire amène-t-il justement un risque de confusion entre les rôles parentaux ?
B.V.D. : Lorsqu'il y a séparation, ce n'est pas un partage entre l'homme et la femme de l'enfant. L'enfant se partage entre deux personnalités différentes, qui peuvent d'ailleurs être deux femmes ou deux hommes. Dans la mesure où ces différences ne sont pas trop énormes, ça peut être un enrichissement pour l'enfant. à‡a peut devenir perturbant si les valeurs et le système éducatif sont trop différents et contradictoires.
F. : L'âge de l'enfant peut-il représenter une contre-indication absolue ?
B.V.D. : A la naissance, on considère que l'enfant a besoin d'un pôle d'attachement principal, qui est le plus souvent la mère. En cas de séparation, je vois le rôle du père se mettre en place de manière progressive, dès le jeune âge, de manière à ce que le duo devienne un trio et que le père propose à l'enfant un autre modèle relationnel. Il faut trouver des systèmes pour que le père ne soit pas un étranger : deux semaines sans voir le père, c'est trop long si on veut que le lien se crée. La fréquence doit compenser le moindre temps passé avec l'enfant ; le père pourrait, par exemple, prendre l'enfant deux ou trois fois par semaine...
Si les parents trouvent ensemble une solution en ayant à l'esprit l'intérêt profond de l'enfant, je dirais : peu importe le nombre de jours, pour autant que ce ne soit pas chaotique pour l'enfant, qui a besoin de régularité. S'ils ne trouvent pas de solution, le recours à la médiation peut être déterminant.
Site internet de Benoît Van Dieren :
http://www.separation-parentale.eu/
Article paru dans Filiatio #4 - 1-2/2012