Intitulé " Comment l'impératif écologique aliène les femmes "(2), l'article pour Slate, écrit par la journaliste Nora Bouazzouni, n'est pas passé inaperçu. Par le biais d'une réflexion portant sur l'écoféminisme en regard des urgences sociétales actuelles, elle y évoque la double charge qui pèse sur de nombreuses femmes, en ces temps d'inquiétude écologique : il faut non seulement gérer le quotidien, mais encore le faire sans détruire la nature.

Ceci étant dit, Nora Bouazzouni souligne que la défense de l'environnement ne va à  l'encontre du combat féministe, que du contraire. Elle rappelle d'ailleurs judicieusement que l'écoféminisme, un mouvement de pensée théorisé dans les années 70 par Françoise d'Eaubonne(3) , considère que l'exploitation de la nature et l'exploitation des femmes procèdent du même système patriarcal de domination : les hommes s'étant accaparé la fertilité de l'une comme des autres. Eu égard à  la créativité des slogans, les manifs pour le climat ont offert une illustration réjouissante de ce syncrétisme : " Pubis et forêts, arrêtons de tout raser ", " Ma planète, ma chatte, sauvons les zones humides " .

En tout cas, ce sont les femmes que l'on retrouve en première ligne du changement climatique, comme en faisait le constat, en 2016, le rapport " Femmes et climat ", initié par la présidence de la COP 21. En voici un extrait : " dans de nombreuses régions du globe, c'est à  elles qu'incombe la tâche de fournir vivres, eau et combustibles à  leur famille. Les effets du dérèglement sur la fertilité des sols et les ressources en eau exercent une pression plus forte sur les femmes " ; " une surcharge de travail... qui aboutit souvent à  une déscolarisation des jeunes filles ". Pour compléter ce tableau, rappelons que chez nous, la mode est de nouveau au " do it yourself " et que le " faire soi-même " se conjugue essentiellement au féminin. Et nous ne pouvons que nous incliner dans le sens de Nora Bouazzouni lorsqu'elle s'interroge : " Quand je vois mes amies passer quatre heures en cuisine le dimanche pour préparer les repas de la semaine parce que c'est plus sain, quand elles cousent leurs lingettes démaquillantes lavables parce c'est meilleur pour l'environnement, je songe aux cours d'économie domestique dispensés aux filles au siècle dernier. Et je me demande dans quelle mesure il s'agit d'un choix bien réel ou d'une insupportable régression ".

À l'époque, biens sûr il n'était pas question de faire de l'écologie mais de faire des économies.Ce qui est frappant au vu des deux réalités brièvement décrites ci-dessus c'est, bien qu'elles soient également sensibles à  la protection de l'environnement, non pas en vertu de leur nature profonde mais en raison du rôle qui leur a été assigné, l'énorme décalage qui existe entre les préoccupations de ces femmes des pays du Sud et de ces femmes des pays du Nord.


(1) Citation depuis "Le guépard" de Giuseppe Tomasi di Lampedusa

(2) http://www.slate.fr/story/180714/ecologie-feminisme-alienation-charge-morale

(3) â€œLa destruction des sols et l'épuisement des ressources correspondent à  une surexploitation parallèle à  la surfécondation de l'espèce humaine. Cette surexploitation est un des piliers du Système Mâle“.

Article paru dans Filiatio #36 - 12/2019-1-2-/2020