" Je vois des culs toute la journée ! ", s'exclame Marty, avant de se demander à  quoi songent les parents qui enfilent des strings à  leurs fillettes. Car, et il est ici impérieux de le préciser, Marty n'est nullement tenancière d'un bordel mais institutrice en troisième primaire dans l'enseignement laïque, en Belgique. Elle nous relate par ailleurs que nombre de petites filles qu'elle a sous sa responsabilité - et non sous sa coupe... - se voient privées de participer à  des activités récréatives exigeant la mobilisation de leur corps ou dans l'incapacité de s'asseoir à  angle droit sur leur chaise pendant les cours tant elles sont accaparées... par leurs pantalons. Qu'elles s'escriment vainement à  remonter pour que soit moins apparente l'amorce de leur raie fessière.

Dans le même établissement, Cassandra, gamine souffrant d'obésité, ose à  peine se mouvoir de crainte que ses surplus de chair ne jaillissent de ses vêtements trop étroits de poupée et soient ainsi exposés à  la vue de tous.

Travesties en pin-up, des mômes de dix ans martèlent le pavé de leurs talons-aiguilles ou déchiffonnent leurs mini-jupes du plat de la main en se lançant des oeillades entendues ou en se gaussant de leurs condisciples plus traditionnellement vêtus (est-ce à  dire en " simplets " et " mégères rétrogrades " ?) qui s'ébattent joyeusement sur la cour de récré. Non, nous ne nous trouvons toujours pas dans un pays où sur les trottoirs se pratique la prostitution de mineures mais dans une institution scolaire de la région liégeoise.

Quant à  Kevin, déchiré entre l'envie de rejoindre ses copains qui dribblent et celle de vérifier que demeure intacte sa ressemblance avec Justin Bieber, autrement dit que la mèche de cheveux le tenant coi est bien plaquée sur son oeil, il oscille d'un pied sur l'autre à  quelques mètres du groupe d'enseignants.

Comme elle échancrerait une pêche encore verte d'un coup de couteau, la mode s'empare des corpuscules de l'enfance pour les pousser dans le vestiaire outrancier de représentations ne les concernant pas. Mais qui néanmoins les habillent et déshabillent en fonction de codes de séduction qui leur sont initialement étrangers. Des codes adultes ayant, parmi leurs vertus perverses, celle de renforcer les discriminations entre les genres féminins et masculins et à  l'intérieur des groupes femmes et hommes eux-mêmes.

Or c'est à  tour de bras et non sans fierté qu'une certaine classe de spectateurs ou de parents emploie, pour qualifier leur progéniture, les termes de Lolita et autres inféodés du sex-appeal en hésitant sur le sens à  concéder à  ce qu'ils perçoivent.

Cependant, doté d'une sexualité non génitale à  laquelle s'adjoint un accoutrement sexuel signifiant l'inverse, l'enfant n'encourt-il pas le risque de devenir un champ de contradictions et l'épicentre d'une crise identitaire non officialisée ? Car si la sexualité est un terrain d'exploration essentiel pour les enfants 1, cette sexualisation imposée de l'extérieur ne tient assurément pas compte de leurs rythmes d'appropriation ni de la construction de sa vie psychique.

Et est-ce vraiment une coïncidence que d'assister d'une part à  une adultération (voilà  une phonétique tristement heureuse...) de la corporalité enfantine et d'autre part de découvrir que les boutiques d'accessoires érotiques arborent en vitrine des travestissements destinés à  infantiliser les corps adultes et prêter des teintes nubiles à  leur sexualité ? À se demander si le fantasme est autonome ou s'il a été placé sous la tutelle de l'économie.

David Besschops

(1) Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre et docteur en psychologie.

Article paru dans Filiatio n°11 - septembre / octobre 2013abonnez-vous ou téléchargez gratuitement ce numéro.