La loi de 2006 sur l'accord des parents et l'hébergement égalitaire a sept ans cette année. L'âge de raison ? Que l'on soit favorable ou réticent à  ce mode d'hébergement, force est de constater qu'il est en augmentation constante. Depuis la promulgation de cette loi, le nombre d'enfants vivant en hébergement égalitaire alterné a plus que doublé, ainsi que le montre notamment une étude récente de la Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale (LBFSM).

Cela correspond à  une double évolution de la société : d'un côté, les couples se séparent de plus en plus. Tous les ans, 30 000 couples belges divorcent - sans compter ceux qui se séparent sans être mariés. Les trois quarts de ces couples séparés sont des parents : au total, on estime que 500 000 à  600 000 jeunes de moins de 18 ans sont concernés, soit un mineur sur quatre. De l'autre, on tend vers une répartition des rôles plus équilibrée entre les femmes et les hommes : les femmes sont de plus en plus impliquées dans la vie publique et professionnelle, et les hommes, de plus en plus impliqués dans la vie privée et familiale.

Cependant, la même enquête de la LBFSM montre qu'après la séparation des parents, l'hébergement principal chez la mère assorti d'un week-end sur deux chez le père reste le mode d'hébergement dominant, du côté des accords entre les parents eux-mêmes comme du côté des décisions de justice.

Pourtant, nous savons que le lien parent-enfant prend du temps, et qu'il se délite si les contacts ne sont pas assez réguliers, en particulier lorsque les enfants sont jeunes. De plus, en un week-end toutes les deux semaines, il est difficile d'être un parent dans toutes les dimensions éducatives et affectives que cela suppose. Comment s'investir sur le plan scolaire, dans la construction des liens d'attachement, dans l'instauration de la confiance, sur le plan affectif... ?

Nous pensons qu'il y aurait beaucoup à  gagner en envisageant la question de l'hébergement d'une manière plus inventive. Il n'est pas ici question d'imposer un " meilleur " modèle aux parents ou à  la justice familiale, ni de mettre en avant une nouvelle norme " égalitaire " pour remplacer une norme " inégalitaire ". Nous trouvons qu'il est utile de proposer des alternatives à  long terme, souples et progressives, qui remettent les parents et les enfants au centre d'un dialogue familial après une séparation conjugale, au lieu de se contenter de calquer une réponse standard à  une question standard : " week-end sur deux ou semaine sur deux ? "

Il est possible de sortir et d'aider à  sortir de cette équation/injonction encore majoritaire " amour maternel égale co-présence " et " amour paternel égale éloignement ". Il est bon pour un enfant d'être sous la responsabilité éducative de plusieurs adultes : les deux parents mais aussi les familiers, les professionnels...

Enfin, comme le montrent les recherches scientifiques et empiriques dans ce domaine, on peut partir du principe que, dans la plupart des cas, plus un enfant voit ses deux parents, mieux il se porte. Les cas de conflit très aigu entre les parents, incluant parfois des violences intra-familiales, ont reçu à  juste titre beaucoup d'attention de notre part, mais 85% à  90% de parents divorcés ne vivent pas cette situation extrême. Ici, nous nous intéressons à  cette majorité de parents qui ne représentent pas un danger pour leur enfant.

Aussi, nous voulons faire connaître les infinies possibilités des modes d'hébergement pour l'enfant, dont le temps psychologique est très différent du nôtre. Ces modes d'hébergement ne sont donc pas réductibles au " week-end sur deux ", que les enfants, en particulier lorsqu'ils sont jeunes, trouvent souvent insuffisant parce qu'ils sont privés trop longtemps d'un de leurs parents. Ils ne sont pas non plus réductibles à  la " semaine sur deux ", qui ne convient pas à  tout le monde et surtout pas aux tout-petits.

Qui connaît le 14 jours chez un parent /14 jours chez l'autre parent, que les adolescents peuvent apprécier ? Qui connaît le 9 jours chez un parent /5 jours chez l'autre parent, qui permet aux deux parents de se répartir le poids des contraintes de la vie scolaire de leur enfant (dans les cinq jours, il y a trois jours d'école) ? Qui connaît le 3 jours chez un parent /deux jours chez l'autre parent pourles enfants en maternelle ?

Pour les très jeunes enfants, la question se pose également. Il est vivement conseillé que le bébé soit chez sa mère tout le temps du congé de maternité et pendant les premiers temps de crèche. Le rôle et la présence du père est elle aussi indispensable pour la construction du lien. Qui connaît l'alternance quotidienne une fois passée la première année ? Elle réduit l'absence de contact avec l'un des parents à  une période dont les enfants sont capables d'imaginer la fin, et assurent ainsi aux plus jeunes une continuité affective suffisamment soutenue avec leurs deux parents.

Afin de respecter la capacité de l'enfant à  vivre dans deux milieux différents, il est important de maintenir le rythme d'alternance pour que l'enfant arrive, petit à  petit, à  anticiper cette alternance. La régularité est gage de bien-être et de sécurité. Elle permet de se construire à  la fois dans le présent et dans l'avenir. Si ces conditions sont respectées, il est possible d'imaginer des solutions innovantes et personnalisées.

Non, ce ne sont pas des formules de mathématiques, mais des systèmes d'hébergement alternatifs, " sur-mesure ", adaptés à  l'âge et au stade du développement des enfants.

Parents, juges, médiateurs, avocats, professionnel- le-s de la famille : nous devons nous montrer créatifs. Soyons souples, faisons attention à  préserver les liens enfant-parents et à  le préserver de manière différenciée selon l'âge de l'enfant, permettons aux parents d'être les acteurs d'un véritable projet parental après leur séparation. Nous avons tous à  y gagner.


Philippe Béague, psychologue, président de l'association Françoise Dolto
Jan Piet H. de Man, psychologue, médiateur familial

 

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Article paru dans Filiatio #10 - mai / juin 2013