Les médias ont pris l'habitude de parler de " la " fessée. Cette utilisation du singulier entraîne une forme d'illusion, puisqu'elle range sous une bannière unifiée une infinité de gestes, de personnes, de contextes et d'objectifs qu'il conviendrait peut-être de réexaminer séparément avant de légiférer. Le terme fessée renvoie en effet, à première vue, à un geste, plus précisément à un contact entre une main et un postérieur. Mais une fois cela dit, on n'a encore rien dit. Car elles sont nombreuses, les variations possibles sur le thème du contact main-fesses !
Il y a la correction méthodique-systématique-déculottée-cuisante qu'un père est prié d'infliger à ses enfants à son retour du travail, à la demande de la mère, en représailles différées de désobéissances sévères ou répétées - tu verras, quand ton père sera là ! Il y a les tapes distribuées au petit bonheur, quotidiennement, presque machinalement, pour ramener au calme une marmaille trop agitée et prompte à la chamaillerie, comme on séparerait de jeunes chiots quand leurs glapissements indiquent une excitation excessive, donc un risque de blessure pour les plus faibles - mais c'est fini, oui ? t'entends pas qu'il pleure, le petit ?
Il y a le geste qui part comme en réflexe, dans un moment de peur panique : l'enfant court, déborde le trottoir, des pneus crissent, l'enfant est rattrapé in extremis, violemment tiré par le bras, et la fessée jaillit par la main du parent qui vient de frôler la crise cardiaque - je t'ai dit mille fois de faire attention !!!
Il y a cette fessée qui arrive un soir d'épuisement parental, alors que l'enfant transgresse sciemment une règle justifiée, clairement formulée, expliquée, mille fois répétée sur tous les tons, depuis des semaines - et qui est confessée ensuite à l'un ou l'autre proche - je m'étais juré de ne jamais lever la main sur mes gosses...
Il y a les mains employées pour faire mal et manifester sa puissance, arme parmi d'autres d'un arsenal diversifié comprenant aussi la gifle, le coup de poing, la poussée dans l'escalier, les coups de pieds, les objets contondants, le mégot incandescent - je vais t'apprendre à me tenir tête !
Il y a la fessée vers laquelle on dévie à la dernière seconde, plutôt que de laisser sortir des mots bien plus destructeurs qu'on sait mensongers - " t'as bousillé ma vie, je voudrais que tu disparaisses ! ".
Il y a la première fessée, qu'on donne sans trop s'interroger parce qu'on en a reçu au même âge et qui peut enclencher un processus délétère - l'escalade dans les châtiments corporels... tout comme son contraire - prise de conscience, résilience, rupture avec la répétition transgénérationnelle.
Il y a la soi-disant fessée, celles des fourbes, capables d'arguer que les traces de sévices, sur des parties du corps de leur enfant bien éloignées des fesses, sont des accidents - c'était juste une fessée, mais il s'est débattu et comme j'avais la cigarette en main...
Il y a...
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Dossier paru dans Filiatio #13 / mars - avril 2014