Très souvent, via différents moyens de communication, le problème de la fessée est inversé et observé par le mauvais bout de la lorgnette. D'où le rejet, le tollé, la mauvaise foi populaire. Lorsque l'abolition de la fessée est présentée comme une interdiction, passible d'une peine administrative, financière ou pénale, la plupart de ses détracteurs font valoir leur droit au respect de la sphère privée et au règlement des transactions qui s'y effectuent. Ils clament à la déresponsabilisation parentale et à l'infantilisation. Certains vont jusqu'à feindre de croire que la seule alternative éducationnelle à la fessée sera le harcèlement moral ou des attitudes psychologiquement dissonantes. Vu sous cet angle, évidemment, l'ingérence de l'État dans l'intime paraît suffocante et se profile comme un danger quasi mortel à l'égard des individus. Or, véritablement, la question n'est pas là . Il est question, en réalité, non pas d'interdire quelque chose aux parents mais d'octroyer ou de rendre un droit à des enfants qui ne disposent d'aucun autre moyen de défense face à des bourreaux... lorsque leurs parents le sont.
Mais en priorité, il s'agit de reconsidérer l'enfant comme un être humain à part entière dès sa naissance et non pas seulement à partir de sa majorité. Un être humain enfant jouissant des mêmes droits que les êtres humains adultes.
Ces mêmes détracteurs, ou d'autres - ils sont légion - arguent encore du fait que les questions relatives à l'intégrité physique de l'enfant sont déjà traitées par la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (1). On rappellera alors que c'est exactement pour
cela qu'il faut inviter la fessée à prendre la porte : parce qu'elle constitue bien souvent la première atteinte à cette intégrité, et pourra, aussi longtemps qu'elle sera tolérée, devenir le masque derrière lequel se cachent les maltraitants, ou l'accès qu'ils empruntent, eux qui présentent des sévices annexes comme des " fessées qui ont mal tourné " - des fessées à dérapage incontrôlé... des fessées victimes d'un " aquaplanage ".
Communiquer largement sur les alternatives à la fessée, en rappelant ainsi l'interdiction de porter des coups et blessures à autrui déjà inscrite dans le code pénal belge, pourrait cependant être une stratégie aussi efficace que de légiférer explicitement sur " la fessée ". Ce fut l'option choisie en 1979 par la Suède, pionnière en matière de réduction de la violence exercée physiquement sur les enfants, comme l'explique Julien Damon : " La loi suédoise édicte que ‘les enfants ont droit à la protection, à la sécurité et à l'éducation. Les enfants doivent être traités avec respect pour leur personne et leur individualité, et ils ne doivent pas être soumis à des punitions corporelles ni à des actes humiliants'. Sitôt ce texte - à visée éducative plus que punitive - adopté, le Ministère de la Justice a financé une vaste campagne d'information et présenté la loi dans les écoles, où toute forme de châtiment corporel est aboli depuis 1958. Chaque famille a reçu une brochure dans laquelle étaient présentées des solutions alternatives à la punition corporelle. Pendant quelques mois des conseils ont été imprimés sur des boîtes de lait. (...) Ce sont des dispositions à portée symbolique qui ont été édictées pour orienter les comportements et non pas pour punir les parents. (...) "
Sécurisation du périmètre
Suivant cet exemple, et celui des parents précautionneux qui ajoutent des " cache-prises " à chaque point électrique et des garde-fous au sommet des escaliers dans le domicile où leur bambin déambule et mène ses explorations, il paraît sain de prévenir et sécuriser, en Belgique aussi, le périmètre de l'enfance plutôt que de se lamenter. Notamment en lui ajoutant ce garde-fou que représente la loi, et qui aura la vertu presque palpable de séparer les maltraitants des enfants. Bien entendu, il est probable, et à espérer, que pour une majorité de parents, le garde-fou soit superflu. Car, si nous restons dans la logique de la comparaison, tous les enfants ne fourrent pas leurs doigts dans les prises ni ne se jettent tête la première dans la cage d'escaliers. Comme tous les parents n'infligent pas à leurs rejetons des fessées qui se muent en torgnoles d'envergure. Les " fesseurs respectueux ", en tout état de cause, ne devraient pas se sentir concernés ou menacés par une loi votée pour promouvoir les Droits Fondamentaux des enfants et s'interposer, le cas échéant, en garde-fou entre les bambins et leur(s) éventuel( s) tortionnaire(s). Quant aux autres, ils trouveront plus d'obstacles sur les chemins qui mènent au pays de la maltraitance : qui s'en plaindra ?
(1) Article 6 : " Tout enfant a droit à la vie "; Article 19 : " Les États doivent protéger l'enfant contre toute négligence ou violence familiale, qu'elle soit physique ou mentale, y compris la violence sexuelle ".
POUR ALLER PLUS LOIN
> Barras Christine, Sociologie de la fessée. Réflexion sur la violence ordinaire dans la famille, Genève : Eclectica, 2012
> Damon Julien, " Vers la fin des fessées ? ", Futuribles, n° 305, 2005, pp 28-46. http://eclairs.fr/wp-content/ uploads/2012/06/Futuribles-fessee. pdf
> Clément Marie-àˆve, Bernèche Francine, Chamberland Claire et Fontaine Catherine, " La violence familiale dans la vie des enfants du Québec ", in Les attitudes parentales et les pratiques familiales, Québec : Institut de la statistique du Québec, 146 p. www.ledevoir.com/documents/pdf/ violencefam2013.pdf
> Union des Familles en Europe, " Pour ou contre les fessées ? ", Synthèse d'une enquête réalisée en ligne, 2007 www.uniondesfamilles.org/ enquete-fessees.pdf
Lisez la suite du dossier Pleins feux sur la fessée
Dossier paru dans Filiatio #13 / mars - avril 2014