Indépendamment du fait qu'elle peut faire la lumière sur des aspects familiaux difficiles à  visualiser de l'extérieur, nul n'était besoin d'études spécifiques (néanmoins, elles existent) pour s'interroger sur les circonstances, bienfaits et conséquences de l'audition des enfants mineurs par une magistrate ou un magistrat de la famille dans le cadre d'une séparation parentale. En effet, la loi érige en principe le droit pour tout mineur à  être entendu (ou refuser d'être entendu) par un juge en matière d'autorité parentale et de droit d'hébergement). Néanmoins, nous pouvons supputer qu'un enfant se trouvant en position de s'exprimer quant à  ses conditions de vie chez chacun de ses parents risque d'être tiraillé par des sentiments contradictoires et empêché dans sa liberté d'expression par un conflit de loyauté inhérent à  l'amour qu'il leur porte. Paradoxalement, l'expression de l'enfant est sensée être libre tout en sachant que ses deux parents ont un droit de regard sur celle-ci. Or même en voulant " faire pour un mieux ", l'enfant peut " mal faire ", selon l'interprétation d'un parent, de l'autre, ou des deux, qui auront postérieurement accès à  la dite audition. D'autre part, même en refusant d'être auditionné (le refus étant une forme d'expression à  part entière), il prend le risque de décevoir ou desservir les plans de l'un ou l'autre (ou les deux) de ses parents. Il y a là  une contradiction de départ. D'autant que, le plus souvent, les enfants se retrouvant en position de s'exprimer au sujet de leurs relations avec leurs parents sont les enjeux d'un conflit parental visant à  mieux se les approprier ou à  mieux les contrôler ou à  mieux les enlever à  l'autre.

Même un enfant tentant la neutralité peut encore s'attirer les foudres de l'un de ses parents puisque la neutralité risque de contrarier les plans de l'un au profit de ceux de l'autre. Dans la majorité des cas, même s'il a pu choisir d'accepter ou refuser d'être auditionné, l'enfant peut difficilement se départir des influences parentales. Par ailleurs, n'est-il pas naïf de croire que les susdits parents puissent accueillir la lecture de l'audition de leurs enfants avec le recul et la maturité suffisante pour ne pas leur montrer les sentiments ou émotions générés par la dite lecture ? L'intérêt de l'enfant brandi comme légitimité pour exiger de la part des parents une distance s'apparentant à  celle d'intervenants professionnels n'est-il pas une espèce d'injonction paradoxale ? Comment, ne fut-ce que non verbalement (par le fait de simplement contenir ou retenir son désappointement) un parent pourrait-il masquer l'impact qu'a occasionné la lecture d'une audition où son enfant s'exprimerait de façon totalement inattendue et en total désaccord avec la perception que lui a de leur relation ? Connaissant la nature humaine et les règles de base de la communication, il est irréaliste d'espérer cela. Aussi, pour tout pédagogues qu'ils puissent être, si les juges ne sont pas des spécialistes de la communication, n'est-on pas en droit d'attendre, par contre, que le panel d'experts qui réfléchissent à  la définition et aux modalités d'application des lois, aient envisagé les effets potentiels de l'audition sur la relation enfant-parents ?

L'objet ici n'est absolument pas de critiquer le fait d'auditionner les enfants dans une affaire les concernant au plus haut degré, mais bien de questionner la pertinence de transmettre aux parents la copie de cette audition une fois que celle-ci a été obtenue.  

Car, à  moins qu'il ne s'agisse d'un enfant dont les parents s'entendent à  merveille, auquel cas une audition s'avère superflue, on imagine difficilement les bouleversements supplémentaires qu'une procédure de la sorte peut produire sur l'équilibre d'un système familial fragilisé.


Article paru dans Filiatio #29 - 3-4-5/2018