Ici et là , disséminés dans le panorama scolaire, des enseignants cultivent originalité et singularité. Des qualités qu'ils n'hésitent pas à mettre au service des réalités multiples des écoliers et de leurs apprentissages. Grâce à ces quelques individualités, les chemins de traverse se multiplient, se consolident et nos enfants conservent une opportunité d'accéder à l'avenir par d'autres voies que le circuit fermé. Valérie, institutrice, livre son point de vue.
" Je n'irai pas par quatre chemins : pour moi, l'école a la responsabilité d'ouvrir le monde. C'est un outil. Une école qui ne tenterait pas à la fois de s'adapter à la société dans laquelle elle se trouve implantée tout en en transcendant les limites et les réticences ne mérite pas le titre d'école.
Sur ce postulat, je trouve votre question un peu biaisée. Vous me demandez comment les nouvelles configurations familiales, et plus précisément parentales, affectent le rapport entre les enfants. Je vous répondrais que se rejouent sur la scène scolaires des scénarii identiques à ceux qui se jouent sur la scène publique, privée ou, quelquefois, juridique. Seulement, à l'inverse de ces autres scènes où les garants du cadre ont pour mission de faire respecter entre les acteurs des règles de convivialité et de départager d'éventuels malentendus; sur la scène scolaire, la tâche des enseignants est de questionner et d'analyser les évènements qui y ont lieu. Des évènements en relation au rapport à la norme. Car soyons honnêtes, c'est à ce niveau là que tout se joue. Au niveau des normes et du concept que ces normes sous-tendent, c'est-à -dire, la normalité.
Ma mission, à l'école, sans entrer dans des catégories précises, puisque vous évoquez l'homoparentalité ou les séparations parentales, est d'élargir le concept de normalité. Et pour ce faire, le meilleur moyen à mon sens est d'interroger sans cesse les normes qui encadrent le concept en question. Et de lui donner du sens.
Il est évident que je n'ai pas débarqué dans ma première école bardée d'une telle réflexion. À l'époque, il y a vingt- quatre ans, les règles me semblaient suffisantes pour créer un environnement sécurisé où les enfants pourraient s'épanouir. C'est avec le temps que j'ai osé émettre l'hypothèse qu'un environnement, pour aussi épanouissant qu'il soit, pouvait se révéler une forme d'enfermement et de guidage restreint, voire répressif. Bien entendu, j'ai dû changer plusieurs fois d'école et de type d'enseignement au cours de ma carrière. Aujourd'hui, je suis dans le Freinet et j'ai réussi à créer en troisième primaire un processus d'enseignement ouvert tant aux immédiatetés sociétales qu'à une réflexion de fond qu'il me semble fondamental de placer en regard des dites immédiatetés. Ainsi, par le biais d'ateliers thématiques, nous avons pu aborder en troisième primaire le mariage pluraliste (j'entends par là gay, etc.), le libre choix de la naissance ou de l'avortement, l'égalité des genres et d'autres questions essentielles au " vivre ensemble ". Il me semble plus important d'ouvrir les enfants à la diversité que de les orienter au travers d'un canevas restreint duquel ils auront à déconstruire bons nombres d'aspects. Quand ils en sortiront.
D'ailleurs, les enfants qui fréquentent ma classe ne sont pas des mômes ordinaires. Lorsqu'ils débarquent chez moi, ils savent qu'ils vont passer une année non pas à " apprendre " mais à créer... À créer une carte du monde ! Car, pour moi, le monde, consiste en un immense vivarium chamarré dont toutes les espèces doivent être protégées. Que se soient les femmes, les papas ou les humains dont l'orientation de vie est hors de la norme... Sans oublier bien sûr les animaux et toutes les formes naturelles ou d'art qui émergent de la beauté du vivant. Évidemment, vous l'aurez compris, dans ma petite école, que je ne citerai pas ici (je pense que pérenniser mon travail avec les enfants prévaut sur la satisfaction d'avoir poussé un coup de gueule approximativement dénonciateur), je fais figure d'excentrique. D'originale. Je ne suis ni véritablement suivie dans ma démarche ni totalement entravée puisque tant ma hiérarchie que mes collègues m'apprécient et admirent mon approche professionnelle. Sans pour autant avoir l'audace de s'investir à leur tour dans une manière nouvelle de concevoir l'enseignement. Ou s'engager sur certaines des pistes que j'ouvre en troisième année mais que je n'ai pas le temps d'explorer de fond en comble tant un an s'avère insuffisant dès qu'on s'écarte un peu des prescriptions programmatiques officielles. "
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Paru dans Filiatio #29 - 3-4-5/2018