Reparlons-en !
Aujourd'hui, chacun sait ou est sensé savoir que les espaces-rencontres ont en commun de " contribuer à créer ou à restaurer la relation entre l'enfant et le parent avec lequel il ne vit pas ". Ainsi, le juge saisi d'un litige familial confiera-t- il à cette institution l'organisation des contacts entre un enfant et l'un de ses parents (ou de ses grands- parents), dans des configurations assez variées : qu' i l s'agisse d'organiser une reprise progressive de contacts, d'encadrer une relation difficile (en cas de maltraitances par exemple), de soutenir un parent en difficulté (sujet à des problèmes d'alcoolisme, de santé mentale ou autres), d'offrir un lieu adapté, voire de mettre à l'épreuve et observer la bonne volonté du parent " gardien" dans les contacts qu'il permet avec le parent " visiteur".
Le service qu'offrent ces espaces-rencontres aux familles déchirées est particulièrement précieux. Dans le temps, l'espace-rencontre a pour objectif une reprise de confiance progressive et d'aider à reconstruire une relation qui s'était détricotée. Dans l'espace, il offre un lieu neutre, véritable sas extérieur à la vie familiale. Par ailleurs, lorsqu'il est mandaté par un juge, l'espace- rencontre installe le respect d'un cadre défini, et permet l'objectivation de la régularité des contacts, voire de leur qualité. Vu la multitude des modes de fonctionnement de ces institutions, il importera cependant que le juge soit attentif aux caractéristiques de celui qu'il désigne. En effet, l'expérience permet maintenant d'affirmer que la pertinence de l'espace-rencontre dépend parfois de facteurs pas nécessairement inhérents à la qualité du service lui-même.
Ainsi, et sous peine de faire plus de tort que de bien, il lui faudra veiller à connaître les délais dans lesquels tel espace-rencontre peut intervenir, les horaires qui sont les siens, son coût éventuel pour les parties (et la faculté pour celles-ci d'y faire face), la possibilité ou non d'obtenir un rapport sur la qualité des rencontres, etc. De même, le magistrat restera attentif au mandat qu'il lui donne, en définissant le cadre des rencontres de manière stricte (ce qui permettra à l'espace-rencontre de garder toute sa neutralité) ou relativement souple (ce qui favorisera une évolution adaptée à la situation).
Dans la pratique, les demandes de recours à ces espaces-rencontres se multiplient, ce qui n'est pas sans poser question. Ainsi, le fameux " principe de précaution " est-il régulièrement avancé pour convaincre un juge de mandater un espace-rencontre, lorsque des maltraitances sont alléguées mais non démontrées, lorsqu'un parent se trouve en difficulté, ou lorsque le contact entre l'enfant et l'un de ses parents a été simplement rompu? Dans ce contexte, la prudence peut s'avérer nécessaire... ou parfaitement contreproductive si elle ne fait que renforcer les mécanismes de méfiance réciproques. Sans parler du risque, évident, de faire le jeu du parent le moins constructif.
En tout état de cause, le recours à un espace-rencontre n'est pas neutre et les questions qu'il pose sont multiples : quelle image un enfant aura-t-il de ce parent qu'il ne peut rencontrer qu'entre les murs d'une institution ? Quelle conception de la liberté et de la responsabilité de chacun des parents le juge promeut-il lorsqu'il soumet les relations intrafamiliales au regard de professionnels ? Quel équilibre permet-il encore lorsqu'il autori e, à la demande de l'un des parents, la mise en observation des relations de l'autre parent avec l'enfant commun ?
Si, répétons-le, l'espace-rencontre peut offrir un service particulièrement précieux dans de nombreuses situations, ces questions méritent assurément d'être posées face à la multiplication des demandes de recours à ces institutions.
Article paru dans Filiatio #32 - 11-12/2018