Madame Colson

" Mon ex n'a pas réussi à  prendre conscience de notre séparation ou à  adapter sa vie à  la situation familiale que traversaient non seulement ses enfants mais encore ceux de sa nouvelle compagne. Ainsi, plutôt que de déménager, de transformer son appartement de façon conséquente ou d'alterner l'hébergement de ses enfants et de ceux de leur belle-mère, pour continuer à  les recevoir tous ensemble, il les entassait littéralement les uns sur les autres dans trois lits pour sept. Ce n'est qu'après avoir entendu mes repro- ches et ma menace de déposer une plainte qu'il s'est décidé à  acheter des lits superposés. Tous les enfants dormaient cependant encore dans la même pièce et mon ex ne s'était pas débarrassé de ses deux dobermans. Ainsi, il est arrivé plus d'une fois qu'en rentrant chez moi le petit se plaigne que le chien dormait sur son lit et qu'il lui était arrivé d'y faire ses besoins, ce qui l'obligeait à  aller s'allonger dans la pièce où son père et sa belle-mère regardait la télé jusqu'à  pas d'heure.J'ai évidemment dû prendre des mesures plus radicales et, après être retournée au tribunal, déménager moi-même pour assumer les enfants à  temps plein. "

Monsieur Gérard, gérant d'une agence immobilière

" De par mon métier et mon expérience de père séparé, je remarque que l'impact de l'éclatement des familles fait que, sans parler des effets de ladite crise économique, les parents redeviennent des individus esseulés, c'est-à -dire des personnes qui ont financièrement des capacités plus réduites qu'auparavant. En réponse à  cette situation, d'autres formes de solidarité se mettent en place et les acheteurs potentiels font de plus en plus souvent appel à  l'appui monétaire de leurs propres parents ou sollicitent un autre membre de la famille susceptible d'être leur aval. Je crois que la conjonction de l'explosion des couples avec la nécessité toujours présente d'habiter quelque part a modifié le fonctionnement interne des familles. Par ailleurs, on peut noter que les gens déménagent plus souvent qu'auparavant. Le nombre de maisons revendues quelques années à  peine après leur acquisition a littéralement explosé. Et malheureusement, dans ce cas de figure-là , ça n'est pas pour racheter ailleurs... "

P. Mirquet, sociologue et thérapeute

" Sans reprendre de manière exhaustive l'histoire de l'évolution des manières d'habiter ensemble mais en en tenant compte toutefois, en tant que sociologue, j'en viens souvent à  penser que d'ici une vingtaine d'années, l'habitat subira des transformations répondant, d'une part, aux nouvelles configurations familiales et, d'autre part, à  des nécessités nouvelles de communication.Pour illustrer cette théorie, un exemple puisé dans ma pratique de thérapeute pourrait être éclairant. Il n'est pas rare qu'à  un couple se trouvant en difficulté relationnelle sans pour autant désirer la séparation, même provisoire, je suggère de choisir à  l'intérieur-même de leur domicile un endroit unique où mettre à  plat leurs problèmes quand ils se présentent. La condition sous-tendant cette proposition étant qu'ils ne se disputent nulle part ailleurs dans la maison mais se rendent dans ce lieu consacré dès qu'ils sentent que leurs rapports se dégradent. Souvent, la démarche de se diriger vers une pièce dédiée à  la discussion allège déjà  celle-ci de l'aveuglement et de l'escalade symétrique que provoquent souvent les disputes. D'autre part, et c'est là  l'objectif principal de cette prescription thérapeutique, la majeure partie du domicile commun est préservé de la pollution émotionnelle que génèrent les conflits. Après quelques séances avec ce couple, quand celui-ci a choisi son lieu de discussions, je donne une seconde consigne qui est de ne plus consacrer cet endroit qu'à  l'analyse de la manière dont ils communiquent entre eux dans les autres pièces de la maison. Il s'agit autrement dit de" parler de comment ils se parlent " sans plus chercher à  savoir qui a tort ou raison ni reprendre les arguments du conflit, mais uniquement de se centrer sur le fonctionnement de leurs rapports. C'est alors qu'ils entrent dans une phase de métacommunication. Je pense que, dans quelques années, cette façon de procéder sera devenue courante et que chaque logis comprendra une pièce de métacommunication dans laquelle les familles pourront discuter calmement de leurs fonctionnements relationnels... "


Trois questions à  Jeanne Lambeau, ingénieure en stabilité au sein d'un cabinet d'architecture bruxellois

Concevez-vous souvent des projets pour des familles qui ne répondent pas au schéma classique papa+maman+enfants ?

Un bon tiers de notre activité concerne le logement, mais j'observe que la plupart des projets continuent d'envisager l'habitat sous l'angle du logement unifamilial autosuffisant. Il y a évidemment des exceptions. Nous venons par exemple d'obtenir par concours la direction d'un projet soutenu par la Ville de Bruxelles : la rénovation d'un bâtiment assez ancien par et pour neuf cellules familiales associées. Isolés, ces foyers n'avaient pas les moyens pour une telle rénovation. Ici, la dimension collective permet à  chaque cellule familiale de concevoir un logement adapté à  ses besoins, tout en bénéficiant d'économies d'échelles grâce à  la conception d'infrastructures énergétiques et d'espaces techniques partagés. C'est un projet pilote : si le succès est au rendez-vous, la Ville pourrait, à  l'avenir, encourager la multiplication de telles initiatives.

Avez-vous été sensibilisée aux nouvelles configurations familiales durant vos études ?

Oui, mais toujours au travers de projets et de dossiers concrets. Depuis une quinzaine d'année, les études d'architecture à  l'UCL reposent sur deux piliers : d'une part, une importante matière théorique, d'autre part, un ensemble de projets à  réaliser selon des directives précises. Du côté de la théorie, je me souviens avoir étudié entre autres un projet hollandais destiné aux familles monoparentales, qui supposait d'aménager des infrastructures collectives à  échelle d'un quartier, environ. Côté pratique, quatre fois par an, les étudiants doivent mobiliser leurs connaissances pour concevoir sur papier puis sous forme de maquette un (ensemble de) bâtiments répondant à  un cahier des charges précis, pour un terrain réel. Il peut arriver qu'un de ces projets concerne la problématique des foyers d'aujourd'hui. Dans ma promotion, il nous a été demandé de concevoir des logements à  géométrie variable pour une université, à  destination de doctorants, de post-doctorants et de chercheurs invités. Il fallait prévoir des espaces privés et des espaces communs, penser à  la taille des foyers, tenir compte de la durée possible des séjours (de 3 mois à  plusieurs années), etc.

Faudrait-il approfondir ce sujet dans les études d'architecture ?

Je pense que le fait d'attirer l'attention des étudiants sur l'évolution des façons d'habiter est suffisant - car ce sont des études axées sur la capacité à  s'immerger dans les projets, à  s'informer sur les besoins et les attentes des commanditaires. Normalement, une fois diplômé, l'architecte est capable de se poser les bonnes questions, d'adopter une attitude qui met le client et sa réalité au coeur du projet. Former des professionnels à  s'interroger et à  s'informer me semble plus porteur que de leur enseigner les tendances ou les modes d'une époque.


Lire la suite du dossier : " Que sont nos maisons devenues ? " 

Paru dans Filiatio #20 - septembre/octobre 2015