Stigmatisation
La réaction de la direction d'une l'école lorsque les parents expliquent la configuration homoparentale (1) peut être un critère de décision pour choisir d'y scolariser ou non son enfant. Clarence, mère légale, raconte l'entrevue du couple lors de l'inscription à l'école de leur fils : " Le directeur semblait très gêné que nous soyons deux mamans. Il ne fixait que moi en parlant. Il savait que j'étais la mère légale. À cause du nom de famille. Soudain, il m'a annoncé : " Ici, on ne dira pas qu'il a deux mamans. " Une phrase inattendue, comme tombée du ciel. Nous n'avions pas demandé un traitement de faveur. Par contre, il exprimait nettement sa réticence. Moi, ça m'a surprise et je lui ai rétorqué : " Si vous ne le dites pas vous-même, c'est lui qui le dira, parce que c'est comme ça qu'il parle de sa famille. " J'ai ajouté que je ne voulais pas que ce soit dissimulé. Il m'a répondu que ça n'était pas son intention mais qu'il ne s'agissait pas non plus de le stigmatiser. à‡a m'a un peu scotchée. J'avais envie de lui dire : " Mais monsieur, c'est ce que vous venez de faire à l'instant précis, vous l'avez stigmatisé ! "
être vues pour être entendues
La difficile visibilité des familles homoparentales a pour conséquence qu'elles sont ignorées et incomprises. Elles sont encore les grandes absentes des représentations sociales de la famille et de l'image globale de la diversité familiale. En outre, elles sont peu prises en compte par les institutions publiques. Familles souvent oubliées, les pratiques ne sont pas conçues pour répondre à leurs besoins. Ce qui a un impact significatif sur leurs enfants. Le silence entourant les familles homoparentales est également néfaste. Les enfants apprennent autant des silences que des paroles prononcées. Si les enfants remarquent que les différences entre les gens sont dissimulées, ces différences peuvent devenir mystérieuses et menaçantes. Lorsqu'un sujet n'est pas abordé en classe, il entre dans le domaine du secret, de la méfiance et de la honte. Les services de santé et les services sociaux qui ignorent les réalités des parents et futurs parents homosexuels envoient un message de rejet et de jugement négatif. L'omission renforce les préjugés.
Côté maman
Pour éviter le risque de confronter les enfants à des propos en décalage avec leur réalité familiale, nombreuses sont les mères qui choisissent une attitude proactive de visibilité. Elles vont en parler avec les adultes responsables des enfants à la crèche ou à l'école. En revanche, par rapport à ce qui peut se passer dans la cour de récréation, les parents semblent plus démunis. En maternelle et dans les petites classes de primaire, la réponse apportée par l'enfant lui-même, qui rétorque parfois assez fièrement aux remarques de ses camarades que non, il n'a pas de papa, mais qu'il a deux mamans, semble suffire. Mais les camarades peuvent se montrer plus insistants, l'âge venant. Les parents ne savent plus trop alors s'ils doivent chercher à rencontrer les camarades en question, s'ils doivent en parler à l'enseignant et comment armer l'enfant. Comment à la fois présenter sa famille comme un environnement positif et parler des risques de réactions homophobes ?
Côté école
Plusieurs mères ont rapporté des expériences très positives, comme le remplacement de la fête des Mères ou de la fête des Pères par une fête des Parents. " Bien sûr il nous a fallu repenser certaines structures et même les formulations de certains intitulés scolaires (on ne s'adresse pas à deux " mamans " ou à deux " papas " en laissant entendre qu'ils jouent les mêmes rôles que les parents d'un couple hétérosexuel). D'ailleurs, pour nous aider à penser les nouvelles définitions parentales, nous avons invité un philosophe. Il a participé à deux journées de discussion et de débat sur les nouvelles formes de familles ", précise Élizabeth G, directrice .
Le regard des autres
Les enfants n'ont pas de mal à accepter d'être élevés par deux parents de même sexe (cela leur semble naturel s'ils n'ont rien vécu d'autre !) sauf que certaines personnes ne se privent pas de leur faire remarquer leur différence. Et c'est la curiosité, la désapprobation, la malveillance des autres qui n'est pas facile à supporter pour les bambins. " La discrimination sociale existe, reconnaît Geneviève Delaisi de Parseval (3). Néanmoins, autour des enfants, il y a une relative tolérance de notre société. " Au détail près que ces parents homos ont souvent tout intérêt à se montrer exemplaires s'ils ne veulent essuyer aucune critique. Bref l'acceptation passe encore trop souvent par le jugement moral...
Pour aider son enfant à supporter le regard des autres on peut d'abord lui expliquer qu'au même titre que ses camarades, il est le fruit d'un amour entre deux personnes et qu'il vit dans une famille aussi aimante que les autres dont il ne faut absolument pas avoir honte ! Mais aussi insister sur le fait que la préférence sexuelle de ses parents n'a rien de commun avec lui et ne regarde personne. Dans tous les cas, il faut éviter de se cacher mais plutôt affronter les autres (personnel de l'école par exemple) pour clarifier la situation et au besoin dissiper les malaises.
1- " homoparentalité " désigne l'exercice de la fonction parentale par un couple formé de personnes de même sexe.
2- Huy
3- Geneviève Delaisi de Parseval est psychanalyste et chercheuse en sciences humaines, spécialiste de bioéthique.
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Paru dans Filiatio #29 - mars/avril/mai 2018